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sans avoir jamais dit leur dernier mot ; mais on en réchappe pourtant aussi de la mer, et quelquefois on a pu voir un homme, mais un sur cent, ma mignonne, se sauver par la miséricorde de Dieu, et revenir dans sa famille, après avoir été compté parmi les morts, rapporter la nouvelle que tout le monde avait péri. Je sais une histoire, Délices du cœur, balbutia le capitaine, une histoire de ce genre qu’on m’a racontée une fois ; mais, puisque nous en sommes sur ce sujet, et que nous voilà assis là ensemble auprès du feu, peut-être vous plairait-il de me l’entendre raconter. Voulez-vous, mignonne ? »

Florence, dans une agitation qu’elle ne pouvait ni maîtriser ni comprendre, suivit machinalement le regard du capitaine, qui se dirigeait derrière elle dans la boutique où brûlait une lampe. Au moment où elle tourna la tête, le capitaine se leva vivement et mit sa main devant les yeux de la jeune fille.

« Il n’y a rien par là, ma belle, dit le capitaine ; on ne regarde pas de ce côté.

— Pourquoi pas ? » demanda Florence.

Le capitaine prétendit que ce côté-là était trop triste et que c’était plus gai de regarder le feu. Puis il poussa la porte qui était restée ouverte jusque-là, et reprit sa place. Florence le suivait des yeux et le regardait fixement.

« Dans mon histoire, il s’agissait d’un vaisseau, ma charmante, commença le capitaine, qui fit voile du port de Londres par un bon vent et un beau temps, il était frété pour… Allons ! ne vous laissez donc pas aller à la dérive ! il était frété pour l’étranger, là ! mignonne. »

L’expression du visage de Florence alarma le capitaine, qui lui-même avait le teint rouge et animé et trahissait une agitation qui valait bien celle de Florence.

« Continuerai-je, ma belle ? dit le capitaine.

— Oh ! oui, je vous en prie, » s’écria Florence.

Le capitaine fit effort comme pour expectorer quelque chose qui embarrassait son gosier et continua d’un ton saccadé : « Il arriva que ce malheureux navire fut pris en mer d’un si gros temps qu’on n’en a jamais vu de pareil en vingt ans, ma chère. C’étaient des ouragans, sur les côtes, capables de déraciner des forêts et de renverser des villes, et c’étaient des tempêtes sur la mer, dans ces latitudes, que le vaisseau le mieux équipé n’aurait pu supporter. Pendant plusieurs jours, le malheureux navire lutta avec courage, m’a-t-on dit ; il fit son devoir en