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— Ah ! dit le capitaine, d’un ton respectueux, c’est un élément bien imposant : il se passe des prodiges sur la mer, ma charmante ! Songez un peu aux vents qui y grondent, aux vagues qui mugissent. Songez un peu à ces nuits orageuses, si sombres, dit le capitaine en levant son croc d’un geste solennel, que l’on ne peut voir sa main droite devant soi, sinon à la lueur des éclairs ! Songez un peu aux tempêtes qui vous emportent, vous emportent à travers les trombes et les ténèbres, comme si vous étiez entraîné tête baissée jusqu’au bout du monde, sans repos… ainsi soit-il ! Retenez ça ; quand vous aurez trouvé celle-là, prenez-en note. C’est dans ces moments là, ma belle, qu’un homme peut dire à son camarade (après avoir feuilleté la Bible auparavant) « un rude nord-ouest, Guillot, écoutez, ne l’entendez-vous pas gronder ? Dieu leur soit en aide ! que je plains tous les malheureux qui sont à la côte ! » Cette citation, applicable surtout aux terreurs éprouvées sur l’océan, le capitaine la prononça du ton le plus expressif et termina par un sonore : « Allons ! tenez bon : solide au poste.

— Est-ce que vous vous êtes jamais trouvé au milieu d’une de ces terribles tempêtes ? demanda Florence.

— Oh ! certes ! ma charmante, j’ai eu ma part des gros temps, dit le capitaine en essuyant son front avec agitation, et je sais un peu ce que c’est que d’être ballotté par les flots ; mais… mais ce n’est pas de moi que je veux parler. Notre cher Walter, mignonne, vous savez… et il se rapprocha d’elle, celui qui s’est noyé. »

La voix du capitaine était si tremblante, son visage si pâle, ses traits si bouleversés, que Florence, tout effrayée, lui saisit la main.

— Votre figure n’est plus la même, s’écria Florence. Vous avez pâli tout à coup. Qu’y a-t-il, cher capitaine Cuttle ? mon sang se glace en vous voyant dans cet état !

— Quoi donc, ma charmante ? reprit le capitaine en la soutenant de son bras. Allons ! ne chavirez pas. Non, non ! tout va bien, tout va très-bien, ma chérie. Comme j’étais en train de vous le dire, Walter… eh bien ! eh bien ! il est noyé, n’est-ce pas ? »

Florence le regarda attentivement ; elle changea de couleur, elle posa la main sur son cœur.

« Il y a des risques et des périls sur la mer, ma belle enfant, dit le capitaine ; les vagues se sont bien souvent refermées sur plus d’un brave navire, sur plus d’un brave cœur,