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sionnaire chargé de ballots, je n’ai nullement besoin de cet argent. Je n’en ai rien dépensé, j’en ai à moi.

— Ma charmante, répondit le capitaine tout décontenancé et regardant droit devant lui, voulez-vous bien le garder pour moi jusqu’à ce que je vous le demande ? cela me fera plaisir.

— Puis-je le remettre à sa place et l’y laisser ? » demanda Florence.

Le capitaine, peu satisfait de cette proposition, répondit cependant :

« Oui, oui, ma charmante, mettez-le où il vous plaira pourvu que vous sachiez où le retrouver. Je n’en ai pas besoin, moi, et je m’étonne de ne pas l’avoir encore jeté au tas d’ordure. »

Le pauvre capitaine était pour le moment fort découragé, mais aussitôt qu’il sentit le bras de Florence, il sembla renaître et ils revinrent tous deux à la maison, en prenant toujours les mêmes précautions. Il ouvrit la porte de l’asile du petit Aspirant de marine, et s’insinua dans la boutique avec une prestesse qu’une longue expérience seule avait pu lui donner. Le matin, pendant le sommeil de Florence, il avait arrêté la fille d’une dame âgée, marchande de volaille, qui stationnait ordinairement au marché de Leadenhall sous un parapluie bleu : cette jeune fille devait venir faire la chambre de Florence et se mettre à sa disposition pour tous les petits services dont elle pourrait avoir besoin ; dès la première visite de cette demoiselle d’honneur, Florence trouva tout aussi bien rangé, aussi en ordre, sinon aussi élégant que dans ce palais de ses tristes souvenirs, ou plutôt de ses songes terribles, qu’elle avait autrefois appelé son logis.

Lorsqu’ils se retrouvèrent seuls, le capitaine insista encore auprès d’elle pour lui faire accepter une rôtie avec un verre de vin chaud (il faisait le vin chaud dans la perfection) ; puis, l’encourageant par de bonnes paroles et par les citations les plus incohérentes qu’il pût imaginer, il la conduisit en haut dans sa chambre à coucher. Mais lui aussi avait quelque chose sur le cœur ; on voyait bien dans ses manières qu’il n’était pas à son aise.

« Bonne nuit, mon petit ange, » lui dit-il, quand il fut à la porte de la chambre.

Florence leva la tête pour l’embrasser.

En toute autre circonstance, le capitaine aurait été terrassé de surprise par un semblable témoignage d’affection et de reconnaissance ; mais, en ce moment, tout sensible qu’il était à