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ses larmes : elle fit tous ses efforts pour apaiser la fièvre à laquelle elle était en proie, et pour se convaincre que tous ces événements venaient bien de se passer quelques heures auparavant seulement, quoique, pour elle, il semblât déjà y avoir des semaines et des mois. Enfin elle descendit retrouver son bon protecteur.

Le capitaine avait mis la nappe avec un grand soin : il était occupé à faire, dans la casserole, une sauce aux œufs : de temps en temps, il arrosait la pièce de volaille qui tournait et rôtissait au feu de la cheminée, au bout d’une ficelle. Il eut la précaution d’entourer Florence de coussins sur le sofa, déjà placé dans un petit coin bien chaud, pour qu’elle fût à son aise ; puis continuant sa besogne avec une habileté extraordinaire, il fit chauffer du jus de viande dans une autre petite casserole, mit bouillir une poignée de pommes de terre dans une troisième, sans oublier de donner un coup d’œil à la sauce aux œufs et de surveiller le poulet, arrosant l’un, tournant les autres avec une impartialité sans égale à l’aide de son unique et précieuse cuiller, et ne se reposant jamais.

Ce n’est pas tout : le capitaine avait encore à guetter une petite poêle dans laquelle des saucisses frémissaient d’une façon toute musicale ; jamais on ne vit de cuisinier plus radieux dans son coup de feu : on ne saurait dire qui était le plus luisant de son chapeau de toile cirée ou de sa joyeuse figure.

Le dîner étant enfin tout à fait prêt, le capitaine Cuttle dressa les mets sur les plats et les servit avec une dextérité aussi remarquable que celle qu’il avait mise à les faire cuire. Il s’habilla pour se mettre à table : sa toilette consista à ôter son chapeau de toile cirée et à passer son habit. Cela fait il roula la table tout près de Florence assise sur le sofa, dit le benedicite, dévissa son croc, vissa à la place une fourchette et fit les honneurs du festin.

« Allons gaiement, ma charmante, dit le capitaine, essayez de manger un morceau. Tenez bon ! ma chère. Voici une aile bien tendre ! voilà de la sauce, une saucisse, une pomme de terre. » Et ce disant, le capitaine arrangea avec symétrie sur une assiette chacun des mets annoncés. Puis versant sur le tout du jus bien chaud avec la précieuse cuiller, il plaça l’assiette assortie devant sa jeune invitée.

« Tous mes volets sont mis, ma charmante, dit le capitaine d’un ton d’encouragement, et nous voilà à notre aise.