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sis devant le feu et faisait chauffer son chocolat du matin. Sur la cheminée était posée sa montre, cet élégant bijou, tout près de lui, afin de pouvoir la consulter plus facilement pendant ses opérations culinaires. En entendant des pas et le frôlement d’une robe, le capitaine tourna la tête, se rappelant avec effroi la terrible Mme Mac-Stinger. Florence, à ce moment, agita vers lui sa main, chancela et tomba évanouie.

Le capitaine, aussi pâle que Florence, si pâle que ses bourgeons en blanchirent, l’enleva comme un enfant et l’étendit sur ce même vieux sofa où elle avait dormi il y avait longtemps.

« Quoi ! les délices du cœur, dit le capitaine en la regardant attentivement ; c’est donc cette douce créature, devenue maintenant une femme ! »

Le capitaine Cuttle avait un si profond respect pour elle, pour elle devenue femme, qu’il n’aurait pas voulu la soutenir dans ses bras pour tout l’or du monde, pendant qu’elle avait perdu connaissance.

« Ô délices du cœur ! dit le capitaine en s’éloignant un peu avec une expression de tendresse alarmée, s’il vous est possible de hêler Ned Cuttle du bout du doigt seulement, faites-le. »

Florence ne bougea pas.

« Ô délices du cœur ! dit le capitaine tout tremblant, pour l’amour de Walter, noyé dans l’onde amère ! Faites un signal ! un seul signal, si vous le pouvez ! »

Voyant qu’elle restait insensible, même à cette adjuration si saisissante, le capitaine Cuttle enleva de dessus la table un vase plein d’eau froide et lui en jeta quelques gouttes sur la figure. Puis, cédant à la gravité des circonstances, le capitaine se servit avec une incroyable légèreté de ses gros doigts. Il lui ôta son chapeau, mouilla ses lèvres et son front, rejeta en arrière ses cheveux, couvrit ses pieds avec sa redingote, dont il se dépouilla dans cette intention et lui frappa dans la main.

Qu’elle était petite dans la sienne ! Il en recula d’étonnement, quand il la toucha. Mais Florence avait remué les paupières : ses lèvres commençaient à s’agiter ; il continua l’application de ses remèdes de meilleur cœur.

« Courage, dit le capitaine, courage ! Tenez bon, ma mignonne, tenez bon ! Vous voilà mieux maintenant ! Nous filons droit, c’est le mot. Amarrons. Buvez-moi une petite goutte de cela ! Ah ! vous revenez à vous ! Comment va, maintenant, ma mignonne, comment va ? »