Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du bien. » Et M. Toots promena un regard rapide autour de la chambre pour voir s’il ne trouverait pas sous sa main l’instrument de son heureux supplice.

« Le capitaine posa son chapeau de toile cirée sur le derrière de sa tête, passa sa large main sur son visage ; ce qui rendit son nez plus rouge que de coutume, et se plantant tout droit devant M. Toots, il le tint avec son croc par le revers de son habit et lui parla en ces termes, tandis que M. Toots le regardait bien en face fort attentif, mais aussi quelque peu surpris.

« Si vous parlez sérieusement, mon garçon, dit le capitaine, vous méritez la clémence, et la clémence est le plus beau joyau de la couronne d’un fils de la Grande-Bretagne. Vous trouverez cela dans la charte, et vous trouverez la charte tout entière dans le Rule Britannia[1] : quand vous l’aurez trouvé, vous reconnaîtrez que c’est la charte que les anges chantent dans le ciel, depuis la création. Voyons ! tenez bon ! Votre proposition me prend au dépourvu. Et pourquoi ? Parce que je navigue seul, vous entendez bien, dans ces eaux ; que je n’ai pas de vaisseau de conserve et que je n’en demande pas. Droit ! Vous m’avez hêlé le premier au sujet d’une certaine dame qui a jeté le harpon sur votre cœur. Maintenant, si vous et moi devons nous tenir l’un à l’autre compagnie, que jamais le nom de cette jeune créature ne soit prononcé, et qu’on n’y fasse pas même allusion. Je ne peux pas vous dire tout le mal qui est résulté de ce que je l’ai nommée trop légèrement, il y a longtemps. Aussi je dois couper court à tout cela. M’avez-vous bien compris, camarade ?

— Pardonnez-moi, capitaine Gills, répondit M. Toots, si je ne suis pas toujours complétement vos raisonnements, mais, sur ma parole, je… C’est bien dur, capitaine Gills, de ne pas pouvoir parler de miss Dombey ! J’ai là un poids si lourd, dit M. Toots en portant avec émotion ses deux mains à son jabot, qu’il me semble nuit et jour avoir quelqu’un d’assis sur ma poitrine.

— Allons ! dit le capitaine, c’est à prendre ou à laisser. Si ces conditions sont trop dures, comme cela peut bien être, mouillez au large, filez des nœuds et séparons-nous bons amis.

— Capitaine Gills, répondit M. Toots, je ne sais vraiment comment cela se fait ; mais, après ce que vous m’avez dit la

  1. Chant national en Angleterre.