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rable de ma vie maintenant ; quand vous savez que, pour elle, pour elle seule, je voudrais encore, si je le pouvais (mais je ne le puis pas ; mon âme s’éloigne de vous avec tant de répugnance !), je voudrais maintenant, si je le pouvais, me soumettre à toutes vos volontés, et devenir la plus humble servante que vous ayez jamais eue ! »

Ce n’était pas le moyen de calmer l’orgueil de M. Dombey. Ses anciens sentiments se réveillèrent à ces mots, plus forts et plus violents que jamais. Encore et toujours sa fille abandonnée, qui, dans ce moment difficile de son existence, lui était représentée même par cette femme rebelle comme toute-puissante là où il était faible, comme étant tout là où il n’était rien.

Il se tourna vers Florence, comme si c’eût été elle qui eût prononcé ces paroles, et il lui ordonna de sortir de la chambre. Florence obéit en cachant son visage dans ses mains et se retira toute tremblante et tout en larmes.

« Je comprends, madame, dit M. Dombey d’un ton où perçaient la colère et la joie de son triomphe, je comprends l’esprit d’opposition qui a tourné vos affections de ce côté, mais vos plans ont été prévus, madame Dombey ; on les a prévus et déjoués.

— Tant pis pour vous, répondit-elle du même ton de voix et conservant toujours la même attitude. Oui ! ajouta-t-elle avec amertume, ce qui est tant pis pour moi l’est bien plus pour vous. Si vous êtes insensible à tout le reste, vous devriez au moins être sensible à cela. »

Le diadème posé sur ses cheveux noirs étincelait et brillait comme une voûte étoilée. Ah ! s’ils avaient eu la vertu qu’une tradition vulgaire attribue aux diamants, prophètes de malheur, c’est pour le coup qu’au lieu de briller ils auraient perdu leur éclat pour devenir aussi ternes qu’un honneur flétri.

Carker, toujours assis, écoutait les yeux baissés.

« Madame, dit M. Dombey en cherchant à reprendre, autant qu’il le pouvait, une attitude hautaine, ce n’est pas par cette conduite que vous me contenterez, ni que vous me ferez renoncer à aucun de mes projets.

— C’est pourtant la seule conduite que j’aie à tenir, quoiqu’elle ne soit qu’une bien faible expression de ce que je ressens en moi, répliqua-t-elle. Si je pensais qu’elle dût vous contenter, je ferais tout ce qui est humainement possible pour la changer. Je ne ferai rien de ce que vous me demandez.