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une mode tout à fait surannée. Cette jeune séductrice n’admettait pas les belles-filles en principe ; autrement elle n’avait rien à dire contre Florence, si ce n’est, comme elle le disait d’un air triste, qu’elle manquait d’élégance, ce qui voulait dire peut-être qu’elle n’avait pas assez de crinoline, et ne montrait pas assez ses épaules. Beaucoup de visiteurs, qui ne venaient à la maison qu’aux jours de réception, connaissaient à peine Florence et disaient en s’en allant : « Vraiment, c’était Mlle Florence qui était dans le coin ? Bien jolie personne, mais elle paraît un peu délicate et bien rêveuse. »

Toujours délicate et rêveuse. Comment ne l’eût-elle pas été avec la vie qu’elle menait depuis six mois ! La veille du second anniversaire du mariage de son père avec Edith, elle prit place à table avec un malaise qui était presque de la terreur. On n’avait point fêté le premier anniversaire, à cause de la maladie de Mme Skewton cette année-là. Le malaise qu’éprouvait Florence était causé par la circonstance, par l’expression du visage de son père, sur lequel elle jeta un regard rapide, et par la présence de M. Carker, qui toujours désagréable pour elle, l’était bien plus ce jour-là que jamais. Edith était richement vêtue, car elle et M. Dombey étaient invités pour le soir à une grande réunion, et l’on s’était mis à table fort tard. Elle ne parut qu’au moment où tout le monde était assis, et M. Carker se leva pour la conduire à sa place. Quoiqu’elle fût dans tout l’éclat de sa beauté et de sa parure, il y avait quelque chose dans son air qui semblait l’éloigner pour toujours de Florence et de tous plus que jamais. Et cependant, un moment, Florence vit briller dans ses yeux, quand elle la regarda, comme un éclair de bonté, qui lui fit regretter plus amèrement encore leur séparation.

On parla fort peu tout le temps du dîner. Florence entendit son père adresser quelques mots d’affaires à M. Carker. Celui-ci répondait à voix basse ; mais elle prêtait peu d’attention à ce qu’ils pouvaient se dire, impatiente de voir la fin du repas. Quand le dessert eut été placé sur la table et que les domestiques se furent retirés, M. Dombey, qui plusieurs fois avait toussé d’une manière qui ne présageait rien de bon, prit la parole.

« Vous savez, sans doute, dit-il, madame Dombey, que j’ai prévenu la femme de charge que nous aurons du monde à dîner ici demain ?

— Je ne dîne pas à la maison, répondit-elle.