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milieu des ténèbres, et elle lui disait tout bas, sur son oreiller : « Bonne nuit ! »

Quelquefois Florence, qui ne se croyait pas visitée ainsi dans son sommeil, se réveillait comme si elle avait rêvé qu’on lui eût dit de douces paroles : elle croyait sentir sur ses joues la chaleur des lèvres qui l’avaient embrassée. Mais, à mesure que le temps avançait, ces réveils-là devinrent plus rares.

Le vide commença à se faire encore une fois dans le cœur de Florence ; la pauvre enfant se retrouva seule encore. De même que l’image de ce père qu’elle aimait était passée pour elle à l’état de pur souvenir, ainsi, Edith, qui éprouvait le sort de tous les êtres que Florence avait entourés de sa tendresse, paraissait s’envoler et s’évanouir en une vapeur tous les jours de plus en plus légère. Peu à peu, il sembla à Florence qu’elle s’éloignait d’elle, et elle ne lui apparaissait plus dans le lointain que comme l’ombre affaiblie de son Edith d’autrefois ; peu à peu l’abîme ouvert entre elles deux devint plus large et plus profond ; peu à peu la source de son affection ardente pour Florence sembla se glacer dans ce cœur téméraire et audacieux à mesure qu’elle approchait du bord du précipice, que Florence ne voyait pas, mais au fond duquel Edith plongeait hardiment le regard.

Une seule chose pouvait compenser la perte sensible qu’elle faisait dans la personne de sa mère, et quoique ce ne fût qu’une bien faible consolation pour son cœur ulcéré, son esprit chercha à y trouver quelque soulagement. Sans se laisser partager plus longtemps entre l’affection et le respect qu’elle devait à son père et à sa nouvelle mère, Florence songea qu’elle pouvait les aimer tous deux, sans prendre parti pour l’un ni pour l’autre. Puisqu’ils étaient devenus des êtres abstraits, chers à l’ardent amour de son imagination, elle leur accorderait une place égale dans son cœur, sans les outrager jamais par aucun secret soupçon.

C’est ce qu’elle essaya de faire. Parfois pourtant, souvent même, d’étranges idées au sujet de la nouvelle conduite d’Edith à son égard se présentaient à son esprit et venaient l’effrayer ; mais, rentrée dans le calme de ses pensées solitaires, elle faisait taire facilement la triste voix de son cœur abandonné. Pour cela, Florence n’avait qu’à se dire que sa bonne étoile était cachée derrière le nuage qui enveloppait toute la maison ; il ne lui restait plus qu’à pleurer et à se résigner.

Au milieu d’un songe dans lequel son âme aimante répandait les flots de son amour sur des ombres légères ; au milieu