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ment, comme pour le tuer de son regard. Oui, et certes elle l’aurait fait, si, comme celle de Méduse, sa tête en avait eu le pouvoir.

« Maman, dit Florence d’un ton alarmé, vous avez quelque chose que vous ne voulez pas me dire et qui m’inquiète. Permettez-moi de rester un peu avec vous.

— Non, dit Edith, non, ma bonne amie : il vaut mieux me laisser seule. Je ferai mieux de me tenir loin de vous, comme de tout autre. Ne me faites pas de questions, mais sachez bien, quand vous me croyez inconstante et capricieuse à votre égard, que je ne le suis ni volontairement ni pour moi-même. Croyez, quoique nous devions paraître plus étrangères l’une à l’autre que nous ne l’avons jamais été, qu’au fond je suis toujours la même pour vous. Pardonnez-moi d’avoir épaissi les ténèbres de votre intérieur déjà si ténébreux, car j’y fais ombre encore, je le sais bien ; ne reparlons jamais de cela.

— Maman, dit Florence en sanglotant, nous n’allons pas nous séparer ?

— C’est, au contraire, pour ne pas nous séparer. Plus de questions ! Allez Florence ; mon amour et mon remords vous accompagnent. »

Elle l’embrassa et lui dit adieu. Lorsque Florence quitta la chambre, Edith la regarda partir, comme si c’était son bon ange qui s’éloignât d’elle sous cette forme, l’abandonnant à son orgueil et à ses passions indignes qui la réclamaient maintenant comme leur proie, et qui mettaient désormais leur sceau sur son front.

Depuis ce moment, Florence et elle ne furent plus l’une à l’égard de l’autre comme elles avaient été jusque-là. Des jours entiers se passaient et elles ne se rencontraient que rarement, excepté à l’heure des repas et en présence de M. Dombey. Alors Edith, impérieuse, roide et silencieuse, ne la regardait jamais. Lorsque M. Carker faisait partie de la société, ce qui lui arriva souvent pendant la convalescence de M. Dombey, et après sa complète guérison, Edith se sépara encore plus de Florence, et se tint encore à son égard à plus de distance qu’auparavant. Quand il n’y avait personne, elles ne se réunissaient pas davantage, mais Edith l’embrassait aussi tendrement qu’autrefois, sans toutefois rien perdre de son attitude hautaine. Souvent, quand elle rentrait tard, elle se glissait dans la chambre de Florence, comme elle avait coutume de le faire, au