Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mieux connaître les rapports qui les lient à l’ensemble, et leur montrer comment ils corrompent les saintes lois de la nature par leurs préjugés funestes ; corruption, hélas ! aussi grande et peut-être aussi naturelle dans son développement, une fois qu’on est sur cette pente, que la dégradation la plus abjecte de leurs frères avilis !

Mais ce jour-là n’avait jamais éclairé de ses rayons M. Dombey ni sa femme, et tous deux continuaient à marcher dans la voie où ils étaient entrés.

Pendant les six mois qui suivirent l’accident, ils furent les mêmes l’un pour l’autre. Il n’aurait pas trouvé plus de résistance dans un roc de granit, qu’il n’en trouva dans cette femme. Pour lui il était aussi triste, aussi froid qu’une source glacée, perdue dans les profondeurs d’une sombre caverne, loin des rayons du jour.

L’espoir qui avait lui dans le cœur de Florence, quand elle avait cru trouver une nouvelle existence dans le mariage de son père, s’était évanoui. Il y avait deux ans qu’il était marié et sa foi patiente elle-même n’avait pu résister à la triste expérience qu’elle faisait chaque jour. S’il lui restait encore quelque vague espérance qu’un jour Edith et son père pourraient être heureux ensemble, elle n’en avait plus aucune que son père pût jamais l’aimer.

Le court intervalle pendant lequel elle avait cru le voir s’adoucir pour elle, elle l’avait oublié ou ne se le rappelait plus que comme une triste déception, en face de sa froideur passée et présente.

Florence l’aimait pourtant encore, mais, peu à peu, elle en était venue à l’aimer plutôt comme un être chéri, qui a existé ou qui aurait pu exister, car ce ne pouvait être la froide réalité qu’elle avait devant les yeux. Quelque chose de cette douce tristesse, avec laquelle elle chérissait la mémoire du petit Paul ou de sa mère, semblait maintenant se mêler à ses pensées ; quand elle songeait à son père, ce n’était plus pour elle qu’un tendre souvenir. Était-ce parce qu’il était mort pour elle, ou parce qu’il se confondait, dans son esprit, avec ces anciens objets de son affection, ou parce qu’elle avait depuis longtemps associé son souvenir avec des espérances qu’il avait flétries, des ardeurs de tendresse qu’il avait glacées ? elle n’aurait pu le dire ; mais le père qu’elle avait aimé commençait à lui apparaître comme l’ombre d’un songe léger : il n’appartenait pas plus à la vie réelle que l’image souvent évoquée par elle