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tement pour flétrir l’innocence et semer la contagion. C’est alors que nous verrions comment il se fait que ces sources empoisonnées, qui coulent dans nos hôpitaux, dans nos lazarets, sont les mêmes sources qui inondent aussi les prisons et entraînent les mêmes misérables que nous avons vus croupir dans ces bouges, sur ces bateaux qui transportent les forçats, et qui, traversant les mers, vont vomir le crime sur de vastes continents. C’est alors que nous apprendrions avec un sentiment d’effroi que, dans ces endroits, où nous laissons croître la misère qui frappe nos enfants et qui se transmet aux générations à naître, nous élevons en même temps des enfants étrangers à l’innocence, des jeunes gens étrangers à la pudeur ou à la honte, des hommes mûrs, qui ne sont mûrs que pour la souffrance et pour le crime, des vieillards flétris qui sont un scandale pour la forme humaine dont nous sommes revêtus. Ô humanité contre nature ! Le jour où nous cueillerons des raisins sur des ronces et des figues sur des chardons, où nous verrons les champs de blé jaunir dans la boue des ruelles de nos cités perverses et la rose s’épanouir dans ces cimetières, dont elles se plaisent à engraisser le sol par des monceaux de cadavres ; ce jour-là nous verrons aussi l’humanité, je dis l’humanité selon la nature, germer et croître du sein de cette semence impure.

Oh ! quand se trouvera-t-il un bon ange pour découvrir à la vue du monde le toit de ces mansardes, d’une main plus puissante et plus bienfaisante que le Diable boiteux de la fable, et pour montrer à des chrétiens tous ces noirs fantômes sortant de leurs demeures à la suite de l’ange exterminateur dont ils forment le triste cortège ! Si l’on pouvait, une nuit seulement, voir sortir de leurs repaires ces fantômes, trop longtemps oubliés, s’élancer du milieu de cette atmosphère méphitique où le vice et la fièvre se disputent leur proie ; si l’on pouvait voir les terribles vengeances qu’ils font tomber sur nous et qu’ils amoncellent tous les jours ; comme le matin d’une telle nuit serait brillant et pur ! Les hommes, sans se laisser arrêter par des obstacles qu’ils se sont créés à eux-mêmes et qui ne sont que des atomes sur le chemin de l’éternité, se rappelleraient qu’ils ont une commune origine, un devoir à remplir envers notre père à tous, qu’ils doivent tendre à un seul but, celui de rendre le monde un séjour plus heureux. »

Quel jour brillant et pur réveillerait alors ceux qui n’ont jamais regardé leurs frères qui les entourent, pour leur faire