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pourquoi, ni comment. Mais pourtant ses sentiments pour elle, quels qu’ils fussent, étaient toujours les mêmes qu’au premier jour. Elle avait à ses yeux le tort immense de se révolter à tout propos, quand il s’agissait de reconnaître sa haute importance, la soumission complète qu’on lui devait. En cela M. Dombey se voyait donc forcé de la corriger et de la réduire ; mais autrement, il la regardait encore, autant que le lui permettait sa froideur, comme une femme capable de faire honneur, si elle le voulait, à son choix, à son nom et de donner du relief au maître à qui elle appartenait.

Mais elle, avec toute la puissance de la passion, tout l’orgueil de son ressentiment, abaissait toujours son noir regard sur une figure qui la comblait d’humiliations.

Oui, depuis ce soir où, dans sa chambre, elle était restée les yeux fixés sur les ombres du mur, en les regardant s’épaissir dans la nuit sombre, elle avait toujours présente à sa colère cette figure odieuse, celle de son mari.

Le défaut capital de M. Dombey, celui qui le rendait si inexorable dans sa ligne de conduite, venait-il d’un caractère contre nature ? Il serait bon quelquefois de se demander ce que c’est que la nature, et comment les hommes travaillent à la changer ; de se demander, en voyant de ces difformités étranges qu’a produites l’intervention de l’homme, s’il n’est pas naturel qu’il change de nature. Prenez un enfant de la nature, homme ou femme : parquez-le, cet enfant de notre mère toute-puissante, dans un étroit espace : enchaînez votre captif à une idée, à une seule idée ; qu’il voie cette idée grandir devant lui, au milieu de l’adoration servile de quelques courtisans timides ou de quelques hypocrites audacieux ; que sera la nature pour cet esclave de son orgueil, qui n’a jamais déployé ses ailes pour prendre vers elle son libre essor, ou qui les a repliées bientôt fatiguées du premier effort, avant d’avoir pu la voir dans son essence et sa vérité ?

Hélas ! dans ce monde où nous vivons, ne sommes-nous pas entourés d’une foule d’objets, contre nature en apparence, et cependant bien naturels en réalité ?

Entendez le magistrat, le juge, adresser des reproches à ces parias, contre nature, de notre société, à leurs habitudes brutales contre nature, à leur impudeur contre nature, à l’absence ou à la confusion contre nature des notions du bien et du mal dans leur intelligence, à leur ignorance contre nature, à leur vice, à leur insouciance, à leur indocilité, à leur esprit,