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Oui, il la voyait dans son imagination exactement telle qu’elle était. Elle lui tenait compagnie avec son orgueil, son ressentiment, sa haine ; tout cela était aussi saisissant pour lui que sa beauté même, aussi clair que la haine qu’elle lui avait vouée. Tantôt il la voyait fière et hautaine à ses côtés, tantôt sous les pieds de son cheval, rampant dans la poussière. Mais il la voyait toujours telle qu’elle était, sans déguisement, et il la surveillait attentivement dans la voie dangereuse qu’elle suivait.

Quand il fut arrivé au but de sa course, qu’il eut fait une brillante toilette, qu’il fut admis dans la chambre d’Edith, éclairée avec luxe, qu’il pencha la tête, reprit sa voix mielleuse et son doux sourire, il la vit encore de ses yeux telle qu’il l’avait vue tout à l’heure dans sa pensée. Il soupçonna même le mystère de la main gantée : c’est pour cela peut-être qu’il la garda plus longtemps dans la sienne. Il marchait derrière elle dans une route dangereuse, et elle n’y imprimait pas une trace qu’il ne la recouvrît de ses pas à l’instant même.



CHAPITRE IX.

Le coup de tonnerre.


La barrière qui s’élevait entre M. et Mme Dombey n’avait pas été brisée par le temps. Couple mal assorti, malheureux chacun de leur côté, malheureux ensemble, unis seulement par ces menottes légales qui leur tenaient les mains enchaînées, ils n’avaient fait que les rendre plus pénibles et plus douloureuses par leurs efforts pour s’en dégager. Le temps, qui console les douleurs et calme les colères, ne pouvait rien faire pour eux. Leur orgueil, bien différent de nature et d’objet, marchait de pair. De leur lutte obstinée, comme du choc de deux cailloux, sortait un feu secret ou jaillissaient des étincelles de flamme, suivant les circonstances, mais toujours une menace d’incendie, prêt à consumer tout alentour et à couvrir de cendres leur carrière conjugale.

Soyons juste pour lui. Dans l’erreur incroyable de sa vie, et cette erreur augmentait toujours à chaque grain qui s’écoulait dans le sablier du temps, il poursuivait Edith sans savoir ni