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les yeux de la façade de la maison, comme s’il se reprochait d’avoir donné un moment d’attention à quelque chose qui en valût si peu la peine.

« Il fut un temps, dit-il, où il pouvait être utile de veiller avec soin sur votre petite étoile, à peine éclose à l’horizon, de considérer prudemment les nuages qui pourraient au besoin l’éclipser, mais une planète a paru, et vous voilà noyée dans sa lumière éclatante ! »

Il tira la bride de son cheval aux jambes blanches, et tournant le coin de la rue, il chercha s’il ne verrait pas quelque fenêtre éclairée sur le derrière de la maison. Cette fenêtre lui rappelait une beauté fière, une main gantée, les plumes d’un bel oiseau éparpillées sur le plancher, et une palatine d’hermine s’agitant et se soulevant sur une robe, comme le flot des mers au souffle d’une tempête qui gronde au loin. Telles étaient ses pensées, quand il reprit sa route au galop pour suivre dans l’obscurité les sentiers abandonnés des parcs.

Car ses pensées se rattachaient fatalement à une femme, une femme orgueilleuse, qui le haïssait, mais qui, peu à peu, et par des moyens infaillibles, en était venue au point où il avait voulu l’amener. Son orgueil, son ressentiment avaient dû fléchir devant lui, et insensiblement elle avait été réduite à souffrir sa présence, à le recevoir comme un homme qui avait le privilége de lui parler de son mépris écrasant pour son mari et du peu de respect qu’elle avait pour elle-même. Oui, ses pensées se rattachaient fatalement à une femme qui le haïssait profondément, qui le connaissait, qui se défiait de lui parce qu’elle le connaissait et aussi parce qu’elle savait bien qu’elle était connue de lui. Mais cette femme, en dépit de la haine qu’elle avait pour lui, nourrissait son ressentiment contre son mari en le recevant chaque jour ; oui, en dépit de sa haine, et voici pourquoi : c’est qu’au plus profond de cette haine, dans un lointain que son œil menaçant ne pouvait atteindre, bien qu’elle en entrevît pourtant quelque chose, il y avait une pensée de sombre vengeance : pensée rapide, passagère, une ombre de pensée, qui l’avait fait frissonner une fois pour ne plus reparaître, mais qui seule aurait suffi pour souiller son âme.

L’image de cette femme ne voltigeait-elle pas devant lui, tandis qu’il s’avançait sur son cheval ? ne croyait-il pas réellement la voir présente à ses yeux ?