Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/12

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aurait-il pu en être autrement ? On avait assommé son intelligence à coups de noms propres de toutes les tribus de Juda. On lui faisait apprendre par cœur, comme punition, les versets les plus difficiles. À l’âge de six ans, on le faisait parader en culotte de cuir, trois fois dans la journée du dimanche ; en haut dans les tribunes, au milieu de l’atmosphère étouffante de l’église, tandis que le grand orgue l’assoupissait en bourdonnant à ses oreilles comme une abeille monstrueuse. Aussi, Robin le Rémouleur, quand le capitaine cessait de lire, avait-il l’air le plus édifié du monde, ce qui ne l’empêchait pas de bâiller et de laisser tomber sa tête de sommeil pendant la lecture. Heureusement, le brave capitaine ne voyait jamais Robin qu’édifié, sans s’apercevoir de ses bâillements.

Le capitaine Cuttle, en sa qualité de négociant, se mit à tenir ses livres. Il y inscrivait les observations qu’il faisait sur le temps, les courants que suivaient les chariots et les autres voitures. Il remarquait que, dans ce quartier, le courant se dirigeait à l’ouest le matin et pendant la plus grande partie de la journée, et à l’est le soir. Deux ou trois chalands parurent dans une même semaine et lui demandèrent des lunettes. Aussitôt le capitaine de passer écriture, et cependant ils ne les avaient positivement pas achetées, ils avaient dit seulement qu’ils reviendraient ; n’importe, le capitaine décida que les affaires marchaient bien, remarque qu’il ne manqua pas d’inscrire sur le grand livre, en n’oubliant pas d’ajouter pour plus d’exactitude maritime, que le vent soufflait frais, nord-nord-ouest, et qu’il avait changé pendant la nuit.

Ce qui embarrassait le plus le capitaine, c’était M. Toots M. Toots lui faisait de fréquentes visites, et tout en ne disant pas grand’chose, il paraissait prendre la petite salle à manger pour une chambre où il pouvait rire tout à son aise. Il s’y asseyait, s’y prélassait pendant une grande demi-heure sans faire un pas de plus dans l’intimité du capitaine. Celui-ci, rendu prudent par les derniers événements, se demandait, sans pouvoir résoudre le problème, si M. Toots était aussi bon qu’il en avait l’air, ou si ce n’était qu’un profond scélérat qui se cachait sous des dehors hypocrites. Ses fréquentes allusions à Mlle Dombey lui étaient suspectes ; cependant, le capitaine, qui se sentait un faible pour M. Toots, à cause de la confiance que celui-ci paraissait lui montrer, réserva pour le moment la question de savoir s’il lui accorderait ou non son amitié. Provisoirement, il se contenta de lui jeter des coups