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plia, les larmes aux yeux, de le quitter pour ne pas nuire à son avenir. Mme Brown l’embrassa une seconde fois, et le lui promit. Mais, avant de suivre sa fille, qui marchait devant elle, elle leva furtivement un doigt vers ses lèvres pour recommander la discrétion à son petit ami, et lui demanda tout bas un peu d’argent.

« Une pièce de vingt sous, mon petit ami, dit-elle avec un regard ardent et sordide, ou bien dix sous seulement, en souvenir de notre vieille amitié. Je suis si pauvre ! et ma jolie fille, car c’est ma fille, Robin, dit-elle en regardant par-dessus son épaule, ma jolie fille me ruine. »

Mais comme le Rémouleur lui mettait, à contre-cœur, un peu d’argent dans la main, sa fille, revenant tranquillement sur ses pas, lui prit la main et en arracha la pièce.

« Eh quoi ! ma mère, dit-elle, de l’argent, toujours de l’argent, depuis le commencement jusqu’à la fin ! Vous ne vous rappelez donc déjà plus ce que je viens de vous dire ?… Tenez ! petit, le voilà, votre argent. »

La vieille femme poussa un gémissement au moment où Robin reprit la pièce, mais sans s’opposer à la restitution ; elle se contenta de grommeler en suivant sa fille, et de grommeler encore tout le long du chemin. Robin surpris et effrayé à la fois, restait cloué à sa place en les regardant s’éloigner. Il les vit s’arrêter et causer avec vivacité : plus d’une fois, la main de la jeune femme se leva comme pour menacer quelqu’un dont elle semblait parler, et Mme Brown l’imitait dans ses menaces, autant que son âge lui en laissait la force. Robin, en les voyant si animées, se disait qu’il ne voudrait pas être à la place de l’individu qui faisait le sujet de leur conversation.

Pour le moment, il se consola en pensant qu’il en était débarrassé ; puis il se dit que Mme Brown ne vivrait pas toujours, et que probablement elle ne l’importunerait pas longtemps. Fort de cette idée, le Rémouleur, qui ne regrettait ses méfaits qu’autant qu’ils pouvaient avoir pour lui des conséquences gênantes, comme la rencontre de Mme Brown, reprit sa sérénité ordinaire. Pour s’égayer complètement, il se mit à songer à la manière admirable dont il s’était débarrassé du capitaine Cuttle, souvenir qui manquait rarement de le mettre en belle humeur. Puis il se rendit au comptoir de la maison Dombey, pour recevoir les ordres de son maître.

Son maître avait l’œil si vif et si pénétrant, que Robin