Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/113

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nant vers sa fille, comme il me parle ! moi qui l’ai connu des semaines et des mois tout entiers, ma chérie ! Moi, qui suis restée son amie bien longtemps, bien longtemps ! du temps qu’il faisait la chasse aux pigeons et aux moineaux !

— Laissez-les donc tranquilles, les moineaux, hein ! madame Brown, répondit Robin d’un ton de vive inquiétude. Il vaudrait mieux faire la chasse aux lions que d’avoir rien à démêler avec ces malheureux pigeons qu’on vous jette toujours à la figure quand vous vous y attendez le moins. Eh bien ! comment vous portez-vous, et que voulez-vous ? »

Ces questions polies pour la forme ne l’étaient point du tout dans le ton, et le visage du Rémouleur exprimait, en les faisant, l’exaspération et la rage.

Comme il parle durement à une vieille amie ! dit Mme Brown s’adressant encore à sa fille. Mais il y a quelques-uns de ses vieux amis, qui n’auraient pas ma patience. Si j’allais le dire à quelqu’un de sa connaissance avec qui il s’est amusé à faire ses jolis petits tours de main, si j’allais dire où on peut le retrouver !…

— Voulez-vous vous taire, madame Brown ? interrompit le malheureux Rémouleur en regardant avec effroi tout autour de lui, comme s’il se fût attendu à voir les dents de son maître à ses trousses. Quel plaisir prenez-vous à perdre un pauvre garçon ? n’est-ce pas honteux à votre âge, quand vous ne devriez plus penser qu’à… une foule de choses ?

— Oh ! le joli cheval, dit la vieille femme en caressant le cou de l’animal.

— Laissez-le tranquille, hein ! madame Brown, s’écria Robin en repoussant sa main. Vous seriez capable de faire perdre la tramontane à un pauvre garçon qui ne demande qu’à se repentir de son passé !

— Et quel mal est-ce que je lui fais, enfant ? répondit la vieille.

— Du mal ! dit Robin. Vous ne savez donc pas que son maître verrait bien qu’on l’a touché, seulement du bout du doigt, » et il souffla en effet sur la place que la vieille femme avait touchée, puis y passa doucement la paume de la main, comme s’il eût cru véritablement ce qu’il disait.

La vieille se retourna pour marmotter quelque chose à sa fille, qui la suivait, et s’attacha aux talons de Robin qui s’en allait, tenant toujours le cheval par la bride. Elle poursuivit la conversation :