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ment par la manche, pour attirer son attention.) Vous le laissez s’en aller comme cela, quand vous pouviez lui soutirer de l’argent ! Il faut que vous soyez bien méchante, ma fille !

— Ne vous ai-je pas dit que je ne veux pas recevoir d’argent de lui ? répondit-elle. Pourquoi ne voulez-vous pas me croire ? Ai-je pris l’argent de sa sœur ? Est-ce que je garderais seulement un sou qui aurait passé par sa main blanche ? à moins que ce ne fût pour empoisonner sa pièce avant de la lui renvoyer, à la bonne heure ! Allons ! silence, ma mère, et marchons !

— Dire qu’il est si riche, et que nous sommes si pauvres !

— Oui, pauvres, trop pauvres même pour pouvoir lui rendre tout le mal qu’il nous a fait. S’il pouvait me donner seulement cette richesse-là, je consentirais à la recevoir de sa main, pour en faire un bon usage. Allons ! retirons-nous : cela me fait mal rien que de regarder son cheval. Allons ! ma mère ! »

Mais la vieille semblait prendre un intérêt extraordinaire à ce qui se passait en ce moment. Robin le rémouleur, redescendant la rue, conduisait par la bride le cheval que venait de quitter M. Carker. La vieille fixait sur le jeune homme des yeux ardents, et à mesure qu’il approchait, ses doutes se dissipaient : c’était bien Robin. Elle lança à sa fille un regard significatif et mit son doigt sur ses lèvres. Puis, s’élançant de la porte, au moment où il passait, elle le frappa sur l’épaule.

« Eh ! eh ! qu’est donc devenu pendant tout ce temps-là mon gaillard de Robin ? » lui dit-elle au moment où le garçon tourna la tête.

Ce gaillard de Robin ne l’était guère, quand il l’eut reconnue. Il parut fort déconcerté, et lui dit, les larmes aux yeux :

« Oh ! madame Brown, ne laisserez-vous pas tranquille un pauvre diable qui gagne honnêtement sa vie et mène une bonne conduite ? Pourquoi venez-vous compromettre la réputation d’un pauvre diable, en lui parlant dans la rue quand il conduit le cheval de son maître dans une écurie respectable ? Un cheval que vous voudriez bien prendre, si vous pouviez, pour aller le vendre, ne dussiez-vous en tirer que de quoi acheter du mou pour votre chat ? Par exemple, ajouta-t-il comme dernière insulte, il y avait beau jour que je vous croyais morte.

— Entends-tu ? entends-tu ? s’écria la vieille en se tour-