Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 3.djvu/11

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

utile qu’il l’avait désiré et qu’il l’avait pu croire dans le temps. Bref, le capitaine était fort troublé en pensant qu’il avait fait peut-être plus de mal que de bien, et dans son remords et son humilité, il croyait que le meilleur moyen d’expier sa faute, c’était d’éviter soigneusement tout ce qui pourrait faire le moindre tort à qui que ce fût, et de se jeter plutôt pour ainsi dire lui-même par-dessus le bord, comme un passager dangereux.

Ainsi donc, enseveli au milieu des instruments, le capitaine n’approchait jamais de la maison de M. Dombey, et ne donnait signe de vie ni à Florence ni à miss Nipper. Il avait même rompu tout rapport avec M. Perch, le jour de sa fameuse visite à M. Carker, en informant sèchement ce gentleman, qu’il lui avait mille obligations de son aimable société, mais qu’il avait coupé son câble pour démarrer au plus vite de ces eaux-là, et qu’il ne savait ce qui le retenait, de mettre le feu à certain magasin, mais qu’il ne s’expliquerait pas davantage. Dans cette réclusion, à laquelle il se condamnait, le capitaine passait tous les jours, toutes les semaines, sans dire un mot à qui que ce fût, sinon à Robin le Rémouleur, dont il faisait grand cas, le regardant comme un exemple d’attachement et de fidélité tout à fait désintéressés. Le soir, il fumait sa pipe assis près du paquet, en songeant à Florence et au malheureux Walter. Il les voyait perdus tous les deux sans remède et ne se les figurait plus que comme de beaux et innocents enfants, restes précieux de ses premiers souvenirs, envolés pour un monde où la jeunesse est éternelle.

Cependant, au milieu de ses rêveries, le capitaine n’oubliait ni sa propre instruction ni la culture intellectuelle de Robin le Rémouleur. Tous les soirs, pendant une heure, le jeune garçon faisait tout haut la lecture au capitaine ; et comme celui-ci croyait que tout était parole d’évangile, il entassait dans son cerveau beaucoup de faits remarquables. Chaque dimanche soir, le capitaine lisait tout seul, avant de se coucher, un certain sermon prononcé une fois sur une montagne, et quoiqu’il eût l’habitude d’en citer le texte à sa manière, sans livre, il n’en semblait pas moins le lire avec autant de respect pour l’esprit divin qui l’avait inspiré, que s’il l’avait appris tout entier par cœur en grec, et qu’il fût capable d’écrire sur chaque phrase les dissertations théologiques les plus savantes.

Robin le Rémouleur avait pour l’Écriture sainte un autre genre de respect tout particulier qu’il avait puisé dans l’admirable système d’éducation de l’école dus Rémouleurs. Comment