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« Avant de vous entendre, monsieur, dit Edith quand la porte fut fermée, je vous prie de vouloir bien m’écouter.

— M’entendre adresser la parole par madame Dombey, répondit-il, même quand elle me fait des reproches que je ne mérite pas, est un honneur si grand pour moi que, ne fussé-je pas son dévoué serviteur en toutes choses, elle me trouverait toujours prêt à satisfaire ses désirs de grand cœur.

— Si vous êtes chargé par celui que vous venez de quitter, monsieur, de quelque message pour moi, ne tentez pas de m’en faire part, car je ne le recevrai pas. » M. Carker leva les yeux comme pour feindre la surprise ; mais le regard d’Edith soutint le sien, et il resta la bouche entr’ouverte.

« Il est inutile, continua-t-elle, que je vous demande si vous êtes venu avec une mission de ce genre. Voilà déjà quelque temps que je m’y attends.

— C’est, en effet, ma mauvaise fortune, dit-il, qui m’amène ici, tout à fait contre mon gré, avec une semblable mission. Permettez-moi de vous dire que je suis chargé de deux messages. Celui-là est le premier.

— Eh bien ! monsieur, qu’il n’en soit plus question, répondit-elle, ou si vous y revenez…

— Madame Dombey peut-elle croire, dit Carker en se rapprochant d’elle, que je me permettrai d’y revenir, quand elle me l’a défendu ? Se peut-il que madame Dombey, sans pitié pour ma triste position, soit tellement décidée à me confondre avec celui dont je tiens mes pouvoirs, qu’elle conserve à mon égard les plus injustes et les plus opiniâtres préventions ? »

Edith abaissa sur lui son œil noir ; l’indignation dilatait déjà ses fières narines, gonflait les veines de son cou, soulevait la blanche palatine jetée négligemment sur ses épaules, dont la blancheur n’avait rien à craindre, pour la comparaison, du voisinage de la fourrure éclatante.

« Monsieur, lui dit-elle, pourquoi venir ici me parler de mon amour et de mes devoirs pour mon mari ? Pourquoi vous donner l’air de croire que je suis heureuse avec lui et fière de cette union ? Comment osez-vous me braver, quand vous savez… Oui, vous le savez, monsieur, car je l’ai vu, dans chacun de vos regards, je l’ai compris dans chacune de vos paroles… Vous savez qu’au lieu d’affection, il n’y a entre nous qu’aversion et mépris, que je le méprise autant que je me méprise moi-même d’être devenue sa femme. Moi injuste ! si j’avais fait justice au contraire de tous les tourments que vous