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un suicide. Quand on songe combien le vieux Sol était peu capable, comme il l’avait souvent répété lui-même, de supporter les tracas de la vie quotidienne, et combien il avait été tourmenté par l’incertitude et les déceptions, cette conclusion, loin de paraître forcée, semblait au contraire très-probable.

Sol n’avait pas de dettes, il n’avait donc rien à craindre pour sa liberté personnelle, ni pour la sûreté de ses biens. Rien, si ce n’est une hallucination, ne pouvait donc l’avoir poussé à quitter seul et mystérieusement son domicile. Quant à cette circonstance qu’il avait emporté ses effets, si toutefois il les avait emportés, point qui restait encore dans le vague, il pouvait les avoir emportés, suivant les raisonnements du capitaine, pour empêcher toute enquête ultérieure, pour détourner l’attention de sa destinée probable, qui sait ? C’était peut-être aussi pour rassurer l’ami même qui discutait en ce moment toutes ces probabilités. Tel fut réduit à ces termes les plus simples le résultat et le dernier mot des délibérations du capitaine Cuttle. Ces délibérations demandèrent beaucoup de temps pour arriver à ce résultat, et comme dans plus d’une délibération publique, elles n’aboutirent pas sans beaucoup de confusion et de désordre, au préalable.

Abattu et découragé, le capitaine Cuttle sentit qu’il était juste de relever Robin de l’état d’arrestation dans lequel il l’avait placé, et de le relaxer, sauf à exercer sur lui une sorte de surveillance honorable. Il loua un homme chez l’huissier Brogley, pour garder la boutique pendant leur absence, et emmenant Robin avec lui, il se livra à la triste recherche des restes mortels de Solomon Gills.

Il visita tous les corps de garde, la morgue, les dépôts de mendicité ; enfin il n’y eut pas un coin de la grande ville qui ne vît reluire le chapeau de toile cirée. Sur les quais, sur les bâtiments, sur le rivage, en amont, en aval, ici, là, partout, dans le gros de la foule, on voyait briller le chapeau de toile cirée, comme le casque d’un héros d’Homère, dans la mêlée au milieu d’une bataille épique. Pendant toute une semaine, le capitaine se mit à lire tous les journaux, toutes les affiches, pour voir les noms des individus trouvés ou perdus. À chaque heure du jour il se mettait en course pour aller constater l’identité de Solomon Gills, mais il ne trouvait que de pauvres mousses tombés par-dessus bord, ou de grands escogriffes à barbe noire, qui étaient venus de l’étranger pour faire la sottise de s’empoisonner. « N’importe, disait le capitaine, je