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et quels efforts elle aurait faits dans la suite pour apprendre le chemin de son cœur qu’elle avait ignoré pendant son enfance ?

Oh ! oui, s’il la voyait mourante, il s’attendrirait ! Si, avec la sérénité d’une âme qui ne regrette pas de quitter la terre, elle était là, étendue sur ce lit tout plein encore des souvenirs de leur Paul chéri, son cœur se laisserait toucher et il dirait : « Chère Florence, vivez pour moi ; nous nous aimerons autant que nous aurions pu le faire, nous serons aussi heureux que nous aurions pu l’être depuis si longtemps ! » Elle croyait entendre son père lui tenir ce langage, et elle-même, l’enlaçant de ses bras, se figurait lui répondre en souriant : « Hélas ! mon père, tout est fini pour moi sur cette terre, mais mon bonheur commence, et jamais je ne pourrais être plus heureuse que maintenant. » Puis, tandis que ses lèvres murmuraient encore de douces paroles, il lui semblait que son âme s’envolait en bénissant son père.

Quelquefois elle revoyait les vagues dorées de la chambre de Paul qui la conduisaient vers un lieu de repos, où ceux qu’elle avait tant aimés et qui étaient partis avant elle, l’attendaient en se tenant par la main ; puis, quand elle regardait le fleuve qui coulait à ses pieds, elle songeait avec tristesse, mais non avec terreur, à ce fleuve dont son frère parlait si souvent et qui l’entraînait, disait-il, toujours, toujours.

L’image du père dévoué et de sa fille malade était encore présente à l’esprit de Florence, car il y avait à peine une semaine qu’elle s’était entretenue avec le pauvre homme, quand M. et Mme Barnet se disposant à aller se promener pendant une après-midi, lui proposèrent de les accompagner ; Florence y ayant consenti de bon cœur, lady Skettles ordonna au jeune Barnet de les accompagner comme s’il eût été indispensable : car rien ne rendait lady Skettles aussi heureuse que de contempler son fils aîné donnant le bras à Florence.

À dire vrai, le jeune Barnet ne semblait pas partager le plaisir de lady Skettles, et il se permettait dans ces occasions-là des réflexions assez peu convenables sur ce qu’il appelait un tas de petites filles. Mais comme il n’était pas facile de troubler la douceur du caractère de Florence, celle-ci, quelques minutes après, parvenait à réconcilier le jeune homme avec son triste sort, et tous deux faisaient route en de très-bons termes. M. et Mme Skettles les suivaient de l’air le plus satisfait du monde avec un sentiment d’orgueil.