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sa chambre ; et se promenant seule sur la plage, avant que personne remuât dans la maison, elle regardait les fenêtres de leurs chambres et pensait à ces petits êtres endormis, objets de soins si touchants, de pensées si affectueuses. Florence alors se sentait plus seule que dans le désert de la grande maison Dombey : quelquefois, elle se prenait à penser en elle-même qu’elle était mieux chez son père ; qu’il y avait plus de tranquillité pour elle à se cacher là qu’à venir se mêler ici aux enfants de son âge, pour constater toute la différence qu’il y avait entre eux. Mais tout entière à son étude, quoique blessée au vif à chaque feuillet qu’elle tournait dans ce livre si sévère de l’expérience, elle resta au milieu de ces enfants, cherchant avec une espérance résignée à acquérir cette science qui lui coûtait tant de peines.

Mais, hélas ! comment l’acquérir ? par où commencer le charme qui devait opérer ? toutes ces filles, qu’elle voyait se lever le matin et se coucher le soir, elles possédaient déjà depuis longtemps le cœur de leur père. Elles n’avaient aucune répugnance à vaincre, aucune froideur à redouter, aucun visage triste à rasséréner. À l’approche du matin, lorsque les fenêtres s’ouvraient l’une après l’autre, que la rosée commençait à mouiller les fleurs et le gazon et que de jeunes pieds commençaient aussi à courir sur la pelouse, Florence, jetant les yeux sur ces visages brillants de bonheur, se demandait ce qu’elle pouvait apprendre de ces enfants. Ils étaient déjà trop avancés dans cette étude dont elle cherchait encore l’a b c. Il était trop tard pour apprendre d’eux quelque chose ; chacune des jeunes filles qu’elle voyait pouvait s’approcher sans crainte de son père, tendre son front pour recevoir un baiser qu’on ne refusait pas, et mettre son bras autour d’un cou qui se baissait pour se prêter à ses caresses. Elle ne pouvait pas du premier coup commencer par être aussi hardie, elle. Grand Dieu ! devait-elle voir ses espérances diminuer à mesure qu’elle poursuivait davantage son unique étude !

Elle se rappelait parfaitement que cette vieille sorcière elle-même qui l’avait enlevée, quand elle était encore toute petite (sa figure, sa demeure, ce qu’elle avait fait, tous ces détails étaient restés gravés dans sa mémoire et y avaient laissé l’impression profonde d’un événement terrible au début de son existence), oui, elle se rappelait parfaitement que même cette vieille voleuse d’enfants lui avait parlé de sa fille avec tendresse : elle n’avait pas oublié les cris terribles qu’elle avait