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dans la réponse de son ami, et puisqu’il n’avait montré aucune appréhension, un tel avis, donné par un tel homme, et venant d’un tel esprit, était véritablement une ancre de salut. Florence fit effort sur elle-même pour croire que le capitaine avait raison ; mais Suzanne, les bras croisés, secoua la tête d’un air d’incrédulité formelle, déclarant qu’elle n’avait pas plus de confiance dans les paroles de Bunsby que dans celles de Perch lui-même.

Le philosophe Bunsby laissait, à ce qu’on pouvait croire, l’oncle Sol à peu près dans l’état où il l’avait trouvé. En effet le pauvre Gills continuait ses pérégrinations dans le royaume des ondes, tenant toujours son compas à la main, sans découvrir un endroit sur lequel il pût l’arrêter. Le capitaine Cuttle, à qui Florence venait de parler tout bas à l’oreille, voyant le vieillard absorbé dans ses études géographiques, posa sa lourde main sur son épaule en lui disant d’un ton affectueux :

« Eh bien ! comment vous va ?

— Mais comme ci comme ça, reprit l’opticien. Je n’ai fait que penser, toute cette après-midi, à ce jour toujours présent à ma mémoire, où mon pauvre garçon est entré dans la maison Dombey ; il revint tard pour dîner à la maison, il s’assit précisément à la place où vous êtes, et nous ne fîmes que parler de tempêtes et de naufrages sans pouvoir le tirer de là. »

Mais les yeux de Gills rencontrèrent ceux de Florence, et à l’aspect de ce regard inquiet et scrutateur qu’elle fixait sur sa figure, il s’arrêta, le pauvre homme, et se mit à sourire.

« Tenez bon ! mon vieil ami, cria le capitaine. Du courage ! Que je vous dise, Gills ; je m’en vais reconduire tout doucement Délices du cœur chez elle (ici le capitaine baisa son croc en l’honneur de Florence) et après cela je vous remorque pour tout le restant de cette bienheureuse journée. Vous viendrez dîner avec moi, Sol, quelque part, n’importe où.

— Non, pas aujourd’hui, Cuttle, répondit vivement le vieillard, qui parut singulièrement effarouché de cette proposition. Non, pas aujourd’hui ; je ne puis pas.

— Pourquoi donc pas ? reprit le capitaine le regardant d’un air étonné.

— J’ai tant d’occupations, si vous saviez. J’ai beaucoup à penser, voyez-vous, et bien des rangements à faire. Vraiment non, Cuttle, je ne puis pas. D’ailleurs, j’ai besoin de sortir encore d’être seul et de finir toutes sortes de choses aujourd’hui. »