Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mais à l’avenir elle aurait de la patience, elle essayerait d’acquérir cette qualité avec le temps, elle parviendrait peut-être à faire connaître à son père son unique enfant. Voilà désormais quel devait être le but de son existence. Le soleil du matin, quand il venait illuminer la triste maison, trouvait dans le sein de la maîtresse solitaire cette résolution plus forte et plus vive. Au milieu de ses occupations journalières, cette pensée l’animait ; car Florence espérait que, plus elle s’instruirait et plus elle se perfectionnerait, plus elle hâterait pour lui le moment de la connaître et de l’aimer. Quelquefois, elle se demandait avec étonnement, le cœur gros et les larmes aux yeux, si elle avait assez fait de progrès pour le surprendre et le charmer le jour où leurs cœurs seraient réunis. D’autres fois, elle réfléchissait pour voir si elle ne pourrait pas se procurer certaines connaissances plus capables que d’autres d’éveiller l’intérêt et la curiosité de son père. Au milieu de ses livres, de sa musique, de son ouvrage, pendant ses promenades du matin, pendant ses prières du soir, elle avait toujours son but devant elle. Étrange étude pour un enfant que d’apprendre le chemin qui conduit au cœur d’un père inflexible !

Dans la rue, au moment où, pendant l’été, les ombres de la nuit s’épaississaient, bien des promeneurs désœuvrés lançaient en passant un regard sur la sombre demeure, et, singulier contraste ! ils apercevaient à la fenêtre cette jolie jeune fille les yeux levés vers le ciel et attentivement fixés sur les étoiles. S’ils avaient connu la cause de sa rêverie profonde, il y avait de quoi troubler leur sommeil. On disait que la maison était hantée par des revenants, et bien des gens d’humble condition, en se rendant à leurs travaux quotidiens, frappés tous les jours de sa lugubre apparence, l’auraient nommée avec plus de raison encore la demeure des esprits, s’ils avaient pu lire toute son histoire sur la sombre façade. Mais Florence avait toujours devant les yeux le devoir sacré qu’elle s’était imposé sans que personne pût connaître le fond de son cœur et vînt soutenir ses efforts. Elle ne songeait qu’à témoigner à son père l’amour qu’elle avait pour lui, et jamais une plainte ne se mêlait à ce vœu.

Florence vivait donc ainsi solitaire dans la maison abandonnée ; les jours se succédaient et Florence était toujours seule, et les froides murailles semblaient jeter sur elle un regard sinistre. On eût dit qu’à l’exemple de la Gorgone elles voulaient changer en pierre sa jeunesse et sa beauté.