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— Oui, répliqua Polly, mais je suis presque sûre de le voir ce soir. C’est son jour, et il n’y manque jamais.

— Je pense, dit M. Toodle, en dégustant son thé, que notre Biler va maintenant droit son chemin comme un joli garçon, hein, Polly ?

— Oh ! il se conduit comme un homme, répondit Polly.

— Il n’y a rien de louche, hein, Polly ? demanda M. Toodle.

— Non, non, répondit Mme Toodle d’un air catégorique.

— Je suis bien aise qu’il n’y ait rien de louche, Polly, dit M. Toodle, de son ton lent et mesuré, tout en fourgonnant dans son pain beurré avec son eustache, comme il eût fait dans sa machine. J’en suis bien aise ; car cela ne vaut rien, hein, Polly ?

— Certainement que ça ne vaut rien, père. Cette question !

— Vous voyez, mes enfants, tant filles que garçons, dit M. Toodle en promenant ses regards sur toute sa famille, toutes et quantes fois que vous suivrez la bonne route, m’est avis que vous ne pourrez jamais mieux faire que d’y aller de franc jeu. Si jamais vous vous trouvez dans des tunnels ou des souterrains, ne vous amusez pas à jouer à cache cache, allez toujours votre chemin, chantant et sifflant comme d’habitude, qu’on sache où vous êtes. »

Les Toodle se levèrent comme un seul homme en poussant tous ensemble un cri perçant, pour attester leur résolution de profiter du conseil paternel.

« Mais pourquoi parler comme ça de Robin, père ? demanda Polly, d’un air inquiet.

— Polly, ma vieille, dit M. Toodle, j’ n’en sais trop rien, quoique pourtant ça me vienne toujours comme ça pour Robin. J’ pars avec Robin seulement ; j’arrive à une bifurcation ; j’ prends le chemin qui se trouve devant moi, et v’ là qu’une foule d’idées s’ viennent mêler dans ma tête avec lui, avant que j’ sache où je suis, ou d’où elles me viennent. Quels embranchements que les pensées d’un homme, dit M. Toodle, c’est drôle tout d’ même ! »

M. Toodle rafraîchit ce profond raisonnement en s’ingurgitant un grand pot de thé, et lui donna plus de solidité en engloutissant force tartines de pain et de beurre. Pendant ce temps il ordonna à ses petites filles de remplir le pot d’eau bouillante, car il avait le gosier sec et une soif à avaler la mer et ses poissons.