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venu audacieux ; je vais le voir quand je l’aurai entendu raconter à votre seigneurie ; et ce disant, il se renversa sur sa chaise en souriant au plafond, comme s’il la savait par cœur et qu’il en eût d’avance la colique.

— À dire vrai, ce n’est pas une histoire, dit le cousin Feenix en souriant à toute la table et secouant la tête d’un air des plus gracieux : cela ne mérite même pas un mot de préface. C’est un simple trait qui peut servir à montrer l’esprit de Jack. Le fait est que Jack fut invité à un mariage ; Je crois dans le Barkshire.

— C’était dans le Shropshire, dit le présomptueux monsieur timide qui pensa qu’on en appelait à ses souvenirs.

— C’est possible, dit le cousin Feenix, Barkshire, Shropshire, je n’y tiens pas : c’était toujours un shire[1]. Donc, mon ami ayant été invité à ce mariage, dans quelque shire (et le cousin Feenix rit bien fort de sa plaisanterie), il se mit en route, tout comme le premier d’entre nous, qui a eu l’honneur d’être invité au mariage de ma belle et charmante cousine avec mon ami Dombey. Il ne se le fit pas répéter deux fois ; il était si diablement heureux d’assister à cette cérémonie intéressante ! Voilà donc Jack parti ! maintenant, je vous dirai que ce mariage était celui d’une jeune fille d’une beauté remarquable, avec un homme dont elle ne se souciait guère, mais qu’elle acceptait, à cause de sa fortune qui était immense. Quand Jack revint à Londres, après le mariage, un de ses amis le rencontrant dans la salle des conférences de la chambre des communes, lui dit : « Eh bien ! Jack, comment va le couple mal assorti ? — Le couple mal assorti ? dit Jack : mais, point du tout, c’est une affaire qui s’est passée dans les règles. Elle, d’abord, elle a été bel et bien achetée, et lui, je peux vous répondre qu’il l’a payée bel et bien. »

À ce point culminant de son récit intéressant, le cousin Feenix s’apprêtait à jouir de tout le succès de son esprit, quand le frisson électrique, qui avait couru tout autour de la table, le frappa à son tour et l’arrêta tout court. À partir de ce moment, on ne vit plus sur aucun visage s’épanouir le moindre sourire, quel que fût le sujet de la conversation. Il se fit un profond silence, et le malheureux monsieur timide, qui était aussi innocent de cette histoire que l’enfant qui vient de naî-

  1. Shire, comté. Chacune des grandes divisions territoriales de l’Angleterre se termine ainsi : Yorkshire, comté d’York, etc.