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« Allons ! dit M. Carker en le prenant par l’épaule, viens avec moi. »

Cette visite au toit paternel inquiétait évidemment l’enfant prodigue ; mais comme M. Carker le poussait toujours en avant, il fut bien obligé de ne pas se tromper de porte et de se laisser conduire au milieu de ses frères et sœurs, se laisser enfin asseoir de force à la table de famille. En voyant le jeune déserteur sous la poigne d’un étranger, toute la famille fit entendre un cri d’effroi général ; le cœur de l’enfant prodigue, qui aperçut, au milieu de tous ses frères et sœurs, sa mère pâle et tremblante tenant son enfant dans les bras, en fut tellement touché, qu’il se mit à crier aussi, faisant chorus avec eux.

Il n’y avait plus de doute ; si l’étranger n’était pas le préfet de police en personne, ce devait être quelqu’un de sa bande ; aussi les jeunes enfants, en le voyant, poussèrent les hauts cris, tandis que les plus petits, incapables de maîtriser les émotions de leur âge, se jetèrent à la renverse en gigotant de toutes leurs forces, comme de jeunes serins épouvantés par la vue d’un oiseau de proie.

Enfin la pauvre Polly, parvenant à se faire entendre au milieu de ce vacarme, lui dit les lèvres toutes tremblantes :

« Oh ! Robin, mon pauvre garçon, qu’as-tu donc fait ?

— Rien, ma mère, dit Robin d’une voix piteuse, demandez au monsieur.

— N’ayez pas peur, dit M. Carker, je ne veux pas lui faire de mal, bien au contraire. »

À ces mots, Polly, qui n’avait pas encore pleuré, se mit à pleurer comme les autres.

Les grands Toodle qui, au premier abord, s’étaient disposés à délivrer leur frère, desserrèrent leurs poings, et les petits Toodle se réunissant en grappes autour de la robe de leur mère, la tête cachée sous leurs bras potelés, regardaient leur coquin de frère et son ami inconnu. Chacun bénissait le monsieur aux belles dents, qui ne demandait qu’à faire du bien à Biler.

« Ce garçon est votre fils, madame ? dit M. Carker à Polly en donnant à Toodle une petite tape sur la joue.

— Oui, monsieur, et Polly tout en larmes fit une révérence. Oui, monsieur.

— Un mauvais fils, je le crains ? dit M. Carker.

— Il n’a jamais été mauvais pour moi, répliqua Polly.