Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 2.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Est-ce que vous êtes allée bien loin ?

— Très-loin. J’ai voyagé sur mer bien des mois, et je suis allée plus loin encore. Je suis allée où vont les condamnés, ajouta-t-elle, en regardant en face son interlocutrice : j’en étais une moi-même.

— Que le ciel vous vienne en aide et vous pardonne ! répondit Henriette avec douceur.

— Ah ! que le ciel me vienne en aide et me pardonne, répliqua-t-elle en secouant sa tête devant le feu. Si les hommes nous venaient en aide un peu plus, Dieu n’aurait pas tant besoin de nous pardonner. »

Mais l’air plein de bienveillance et d’aménité d’Henriette, sa douceur et son indulgence l’émurent et elle dit d’un ton moins rude :

« Nous devons être à peu près du même âge vous et moi. Si je suis plus âgée, ce ne peut être que d’un an ou deux. Qui le croirait ! »

Elle ouvrit ses bras comme pour montrer l’état misérable auquel elle était réduite, corps et âme, puis elle les laissa retomber et pencha tristement la tête.

« Il n’y a rien que nous ne puissions espérer de réparer. Il n’est jamais trop tard pour nous corriger, dit Henriette. Vous vous repentez ?

— Non, répondit-elle, je ne me repens pas. C’est impossible. Les femmes comme moi ne se repentent pas, et pourquoi donc me repentirais-je, moi, quand on laisse tout le monde libre de faire ce qu’il veut ? On me parle de repentir ; et qui donc se repentira du mal qu’on m’a fait ? »

Elle se leva, noua son mouchoir autour de sa tête et se prépara à sortir.

« Où allez-vous ? dit Henriette.

— Là-bas, à Londres ! et elle indiqua du doigt la ville.

— Avez-vous un asile ?

— Je dois avoir une mère. Une mère ! à peu près comme son logement est un asile ! et elle fit entendre un amer éclat de rire.

— Prenez ceci, dit Henriette en lui mettant un peu d’argent dans la main. Tâchez de vous bien conduire. C’est peu de chose, mais c’est assez pour vous empêcher de mal faire au moins pendant un jour.

— Êtes-vous mariée ? dit l’autre, d’une voix faible, en prenant l’argent.