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forçait de s’arrêter souvent pour les écarter afin de voir son chemin.

Elle venait de s’arrêter dans ce but, quand Henriette la remarqua. Elle passa ses deux mains sur son front brûlé par le soleil et écarta de son visage les cheveux qui le couvraient ; elle laissa voir alors des traits empreints d’une beauté insouciante et sauvage, d’une résolution hardie et dépravée, prête à défier bien d’autres obstacles que la pluie ou le mauvais temps, d’une insensibilité parfaite à tout ce qui pouvait lui tomber sur la tête du ciel ou d’ailleurs : sa vue toucha le cœur de celle qui la regardait passer : n’était-ce pas une femme, comme elle ?

Elle pensa à cette âme aussi déchirée, aussi souillée au dedans peut-être que ses vêtements extérieurs, aussi endurcie que son corps ; elle pensa à tous les dons que le ciel avait répandus sur cette créature, et qui avaient été jetés aux vents comme ses cheveux épars ; elle pensa à cette belle ruine fouettée par la pluie et l’orage au déclin du jour.

En pensant à tout cela, elle ne se détourna pas avec indignation, ce que font trop souvent des femmes tendres et compatissantes, à ce qu’on dit ; elle la plaignit seulement.

Sa sœur déchue continua sa route, regardant au loin devant elle, et cherchant à percer le brouillard qui enveloppait la ville. De temps en temps, elle jetait un coup d’œil égaré et inquiet de chaque côté du chemin. Quoique son pas fût ferme et courageux, elle était fatiguée et, après un moment d’irrésolution, elle s’assit sur un tas de pierres, sans chercher à s’abriter contre la pluie.

Elle se trouvait alors juste en face de la maison. Après avoir laissé un moment reposer sa tête sur ses deux mains, elle la releva et ses yeux rencontrèrent ceux d’Henriette.

En un instant, Henriette fut à la porte, et l’autre, sur un signe, se leva et s’avança lentement vers elle, avec un regard assez dur.

« Pourquoi restez-vous à la pluie ? dit Henriette avec douceur.

— Je n’ai pas d’abri, répondit-elle.

— Mais il y a bien des endroits où vous auriez pu vous mettre à couvert près d’ici ; sous ce petit porche, par exemple, dit-elle, et elle montrait celui de la maison, vous seriez mieux que là où vous êtes. Vous pouvez vous y asseoir. »

La mendiante la regarda d’un air de doute et de surprise,