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été accueilli cavalièrement ; il vaut mieux que les choses se soient passées ainsi. Je préfère beaucoup la manière dont cela s’est fait. »

Miss Tox, la tête penchée, coupait toujours les plantes. Mme Chick, qui, de temps à autre, avait un mouvement de tête significatif, continua sur le même ton avec un geste qui interdisait toute réplique.

« Si mon frère Paul m’avait consultée, ce qu’il fait quelquefois, ou plutôt ce qu’il avait l’habitude de faire quelquefois, car maintenant il ne me consultera plus ; ce sera pour moi une grave responsabilité de moins. (Ici Mme Chick sembla souffrir des nerfs.) Dieu merci, je ne suis pas jalouse. (Ici Mme Chick versa encore une fois des larmes.) Si mon frère était venu à moi et m’avait dit : « Louisa, quelle sorte de qualités me conseillez-vous de chercher dans une femme ? » je lui aurais certainement répondu : « Paul, il vous faut des titres, de la beauté, de la dignité, de belles relations. » Voilà, en propres termes, ce que je lui aurais dit. Après cela on aurait pu me conduire à l’échafaud, si on avait voulu, dit Mme Chick, comme si l’échafaud était la conséquence très-probable de la réponse qu’elle eût faite, mais voilà encore une fois, en propres termes, ce que je lui aurais répondu. « Comment ! lui aurais-je dit, vous, Paul, vous marier une seconde fois sans épouser ni titres, ni beauté, ni dignité, ni relations ! il n’y a personne au monde d’assez fou pour oser avoir un seul instant une idée aussi déraisonnable. »

Miss Tox s’arrêta dans sa besogne ; la tête au milieu de ses plantes, elle écoutait attentivement. Peut-être s’imaginait-elle qu’il y avait une lueur d’espérance pour elle, dans cet exorde, en voyant avec quelle chaleur s’exprimait Mme Chick.

« Voilà, continua la discrète dame, les raisonnements que j’aurais faits ; parce qu’enfin je crois que je ne suis pas encore une imbécile. Je n’ai pas la prétention de me faire passer pour une intelligence supérieure, quoiqu’il y ait des gens assez bons pour le croire. Ce n’est pas avec la modestie que je me connais, que j’aurais pu longtemps entretenir cette illusion. Mais enfin je ne suis pas non plus tout à fait une imbécile. Et venir me conter, à moi, dit Mme Chick avec un ton de dédain inexprimable, que mon frère Paul Dombey a jamais pu envisager comme possible l’idée de s’unir à quelqu’un. N’importe qui… je ne m’en inquiète pas (dans ces derniers mots il y avait plus d’amertume et d’emphase que dans tout le reste),