crainte, je ne savais pas ce que je faisais ; ce n’est pas ma faute.
— Ce n’est pas votre faute ! s’écria Mme Brown, c’est la mienne, peut-être ?… Par Dieu ! dit la vieille en passant et repassant sa main dans les longues boucles de cheveux de l’enfant avec une sorte de joie féroce, personne ne les coupera que moi, je veux en avoir l’étrenne. »
Florence fut si heureuse de voir qu’il ne s’agissait que de ses cheveux, quand elle avait pensé que Mme Brown en voulait à sa tête, que sans témoigner ni crainte, ni résistance, elle leva seulement ses doux yeux vers cette bonne créature.
« Ah ! dit Mme Brown, si je ne me rappelais pas, par bonheur pour vous, une fille qui était fière aussi de ses beaux cheveux, et qui est bien loin par delà les mers à cette heure, j’aurais coupé toutes ces mèches-là. Elle est bien loin, bien loin ! »
Et Mme Brown poussa un gémissement, qui n’était rien moins que mélodieux ; mais, en même temps, elle avait agité ses longs bras maigres d’une façon si diabolique que ce gémissement plein d’une douleur désordonnée pénétra jusqu’au fond du cœur de Florence et la fit trembler de tous ses membres. Ce cri pourtant sauva ses beaux cheveux, car la vieille après avoir voltigé quelques instants autour d’elle, les ciseaux à la main, comme un papillon d’un nouveau genre, lui ordonna de cacher bien vite ses longues boucles sous son chapeau sans en laisser passer une qui pût la tenter. Après cette victoire remportée sur elle-même, Mme Brown reprit sa place sur le tas d’os et se mit à fumer un bout de pipe bien culottée, remuant tout le temps sa bouche et ses mandibules, comme si elle en mâchait le tuyau.
Quand elle eut fini sa pipe, elle mit sur l’épaule de l’enfant une peau de lapin pour lui donner encore davantage l’air de sa compagne habituelle, puis elle lui dit qu’elle allait la conduire dans une grande rue, où elle pourrait demander son chemin aux passants pour retourner chez ses parents. Mais elle lui enjoignit, avec des menaces de prompte et terrible vengeance, dans le cas où elle lui désobéirait, de ne parler à personne et de ne pas quitter le coin de la rue où elle allait la laisser, avant d’avoir entendu sonner trois heures. Elle lui défendit en outre de chercher à rentrer à son propre domicile, qui pouvait être trop près pour Mme Brown ; c’était aux bureaux de M. Dombey, dans la cité, qu’elle devait se rendre directement.