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Elle fit aussi un inventaire exact de toute sa garde-robe particulière, et entra dans quelques détails sur ses parents et amis. S’étant soulagée par ces confidences, elle accepta quelques crevettes et un verre de bière, et se sentit toute disposée à jurer à Jemima une amitié éternelle.

La petite Florence, de son côté, ne restait pas en arrière, et mettait à profit l’occasion. Conduite par les jeunes Toodle, qui lui montraient des champignons moisis et d’autres curiosités de la flore de Staggs-Gardens, elle consentit de tout son cœur à travailler avec eux à la construction d’une petite digue, tout autour d’une flaque d’eau sale, qui s’était formée dans un coin. Elle était tout entière à ce travail d’un nouveau genre, quand elle fut aperçue par Suzanne qui la cherchait. Celle-ci (tant était grand chez elle le sentiment du devoir, malgré l’influence adoucissante des crevettes) ne manqua pas d’adresser à la petite fille une verte remontrance, accentuée de quelques bonnes tapes, tout en lui lavant la figure et les mains. « Enfant dénaturée, disait-elle, vous ferez blanchir avant le temps les cheveux de tous vos parents en général, et vous les ferez mourir de chagrin. » Après un moment d’attente causée par un tête à tête entre Polly et Jemima, qui étaient montées à l’étage supérieur pour causer ménage, chacune reprit son enfant ; car Polly avait gardé tout le temps dans ses bras le petit Toodle, tandis que Jemima portait le petit Paul. Quand l’échange fut fait, les visiteuses firent leurs adieux.

Mais avant de quitter la maison, on envoya les deux Toodle, victimes d’une adroite supercherie, dépenser un gros sou chez un épicier du voisinage. Quand la place fut libre, Polly se sauva. Jemima, sur le seuil de la porte, lui cria que, si elles voulaient seulement faire un petit détour par City-Road, elles rencontreraient bien sûr Biler revenant de l’école.

« Pensez-vous que nous ayons le temps de passer par là, Suzanne ? demanda Polly, quand elles se furent arrêtées pour reprendre haleine.

— Pourquoi pas, madame Richard ? répondit Suzanne.

— C’est qu’il est bientôt l’heure du dîner, vous savez : » dit Polly.

Mais le léger à-compte qu’avait pris Suzanne l’avait rendue fort indifférente à cette grave considération ; elle n’y ajouta aucune importance, et il fut résolu qu’on ferait le petit détour.

Depuis la veille, l’existence du pauvre Biler était devenue