Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sons renversées, des rues coupées brusquement et interceptées par les décombres, des excavations et des tranchées profondes ; d’énormes amas de terre et d’argile rejetés de côté, des habitations minées et menaçant ruine, étayées par de grosses poutres. Ici, un chaos de charrettes entassées les unes sur les autres, toutes droites, ou renversées sens dessus dessous, au pied d’un monticule nouvellement formé. Là, du fer, en quantité, gisait tout rouillé dans une espèce de mare accidentelle. Partout des ponts qui n’aboutissaient nulle part, des passages devenus des impasses ; des cheminées, vraies tours de Babel, qui n’avaient pas la moitié de leur hauteur ; des baraques, des enclos provisoires, construits dans les endroits les moins favorables ; des crevasses de maisons en lambeaux, des fragments de murs et d’arcades inachevés ; des monceaux de poutres, de charpentes et de briques dans un affreux pêle-mêle ; des grues gigantesques, des cabestans sans emploi ; de tous côtés, des constructions commencées ou à peine ébauchées, tantôt enfouies sous terre et demandant de l’air, tantôt plongeant dans l’eau et aussi incompréhensibles qu’un rêve. Les jets d’eau chaude, les feux ardents, compagnons ordinaires des tremblements de terre, venaient ajouter à la confusion de ce tableau. De l’eau bouillante sifflait et écumait près des murs en ruines, d’où s’échappaient aussi parfois des étincelles et des flammes brillantes ; et des montagnes de cendres, sans respect pour les usages du pays, avaient supprimé les droits de passage.

Bref, c’était le chemin de fer, encore ébauché seulement et loin d’être ouvert au public, qui était en cours d’exécution. Au milieu de cet horrible désordre, il commençait à prendre tournure et avançait tous les jours, entraîné par la marche puissante de la civilisation et du progrès.

Pourtant, dans le voisinage, on doutait encore du succès du chemin de fer. Un ou deux hardis spéculateurs avaient projeté des rues ; un autre en avait tracé, construit une petite ; mais, devant ces masses d’argile et de cendres, il s’était arrêté, se demandant s’il devait continuer. Une taverne toute neuve, dont les murs étaient encore humides et la peinture toute fraîche et qui n’avait pas le moindre vis-à-vis, avait pris pour enseigne Aux Armes du chemin de fer ; l’entreprise était périlleuse, peut-être, mais le propriétaire espérait vendre à boire aux ouvriers. Un petit cabaret était devenu le Rendez-vous des terrassiers ; le vieil établissement du Jambon et du bœuf s’était