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— Mon Dieu ! Louisa, écoutez-moi, dit M. Dombey.

— Mon cher Paul, répliqua-t-elle avec une émotion pleine de dignité, il faut que je parle. Je n’ai ni vos moyens, ni votre raison, ni votre éloquence, ni aucune de vos qualités, je le sais. C’est un malheur pour moi ; mais quand ce devraient être mes dernières paroles (et les dernières paroles ne sont que trop solennelles pour vous et pour moi, Paul, depuis la mort de notre pauvre Fanny), mes dernières paroles seraient toujours que jamais je n’ai pensé qu’on pût rien supposer. Et bien plus, ajouta Mme Chick d’un air plus digne encore, comme si elle eût réservé jusqu’alors son argument décisif, je n’ai jamais pu penser qu’on supposât rien, »

M. Dombey fit quelques pas jusqu’à la croisée et revint.

« On ne peut rien supposer, Louisa, dit-il (et Mme Chick, qui ne voulait pas se rendre, répéta : Je sais que cela ne se peut ; mais son frère n’y prit point garde.) Cependant, continua-t-il, quelques personnes, s’imaginant que j’ajoute quelque importance à cette formalité, pourraient se croire en droit de réclamer contre l’avantage donné à miss Tox. Cela m’importe peu. Je ne reconnais pas de droits acquis en pareilles matières. Paul et moi nous pourrons, quand le moment sera venu, soutenir notre réputation, ou plutôt la maison pourra soutenir sa réputation, la conserver et la transmettre sans avoir besoin de tous ces petits moyens, ni d’aucun secours étranger. Bien des gens cherchent pour leurs enfants un appui, un soutien ; pour moi je puis m’en passer ; mes moyens, Dieu merci, me le permettent. Que l’enfance et la jeunesse de Paul se passent heureusement ; que je le voie, sans perdre de temps, entrer dans la carrière qui lui est ouverte, je n’en demande pas davantage. Il pourra dans la suite se choisir des amis puissants, si cela lui plaît, quand il soutiendra et étendra, s’il est possible, la réputation et le crédit de la maison ; mais, jusque-là, je lui suffis, je pense : il n’a pas besoin d’autres gens. Je n’ai nulle envie qu’on s’interpose entre mon fils et moi, je préfère beaucoup témoigner ma reconnaissance à une personne qui la mérite autant que votre amie pour ses obligeants offices. Qu’elle soit donc marraine ; et votre mari et moi nous suffirons pour la cérémonie. »

M. Dombey venait de dévoiler ses plus secrètes pensées au milieu des observations qu’il avait débitées avec tant de grandeur et de majesté. Un éloignement invincible pour quiconque s’interposerait entre lui et son fils, une crainte orgueilleuse