L’œil brillant, le teint animé du jeune homme, qui s’était levé de son siège, exalté par ce qu’il disait et ressentait, sembla rappeler au vieux Sol quelque chose qu’il avait oublié. Peut-être aussi le brouillard qui l’environnait avait-il troublé ses idées. Au lieu de poursuivre les récits comme il avait paru d’abord en avoir l’intention, il eut deux ou trois fois une petite toux sèche, et dit :
« C’est bon : Parlons d’autre chose. »
La vérité est que le bon oncle, attiré malgré lui vers toutes ces aventures merveilleuses et extraordinaires avec lesquelles son commerce l’avait familiarisé, avait grandement encouragé la même inclination chez son neveu. Tout ce qu’il avait fait ensuite pour éloigner le jeune homme d’une vie aventureuse avait eu l’effet généralement contraire et n’avait fait que lui aiguiser l’appétit, comme cela ne manque jamais. Écrivez un livre ou racontez une histoire dans le but de retenir les enfants à terre, vous êtes sûr qu’ils seront attirés et charmés par l’océan.
Mais un nouveau personnage vint prendre part à la conversation. C’était un homme portant d’amples vêtements bleus, avec un crochet en guise de main à son poignet droit ; ses sourcils étaient noirs et épais ; dans sa main gauche il tenait un gros bâton noueux. Son nez n’avait guère moins de bosses. Son cou était enveloppé dans une cravate de soie noire mal attachée, et sur ses épaules se rabattait un col de chemise si démesurément grand qu’on eût dit une petite voile. C’était évidemment à son intention qu’on avait préparé le verre vide ; il n’eut lui-même aucun doute à cet égard, car il approcha une chaise de la place réservée et s’assit sans façon, après s’être débarrassé de son manteau, et avoir pendu à un certain clou, derrière la porte, son chapeau de toile cirée. Ce chapeau était si lourd qu’une personne délicate aurait eu la migraine rien qu’à le regarder, et la raie rouge qu’il laissait autour du front du nouveau personnage pouvait faire croire qu’il avait eu la tête serrée dans un étau. On lui donnait ordinairement le titre de capitaine. Il avait été pilote, patron de navire ou corsaire ; peut-être avait-il fait ces trois métiers. Somme toute, il sentait le marin d’une lieue. Sa figure basanée s’épanouit quand il serra la main de l’oncle d’abord et du neveu ensuite ; mais il semblait de son naturel assez laconique, car il dit simplement :
« Comment ça va-t-il ?