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table fut débarrassée (car on avait apporté le dîner d’un restaurant voisin) le vieux Sol alluma une chandelle et descendit à son petit caveau réservé, pendant que Walter, arrêté sur les marches glissantes de l’escalier, l’éclairait avec soin. Après avoir tâtonné un moment, il revint tenant à la main une vieille bouteille toute couverte de terre et de poussière.

« Que faites-vous, oncle Sol, dit le jeune homme ; mais c’est le fameux madère ! et il n’en restera plus qu’une bouteille ! » L’oncle Sol fit de la tête un mouvement qui voulait dire : je sais ce que je fais, et ayant tiré le bouchon d’un air grave et solennel, il remplit deux verres et posa ensuite sur la table la bouteille avec un troisième verre.

« Vous boirez l’autre bouteille, Walter, dit-il, quand vous aurez fait fortune ; quand vous serez devenu riche, respecté et heureux ; quand la route qui vient de s’ouvrir aujourd’hui devant-vous, vous aura conduit, ce que j’espère, à une position où vous trouverez la récompense de toutes vos peines. À votre prospérité, donc, mon enfant ! »

Le brouillard, qui troublait la vue du vieux Sol, avait pénétré sans doute jusqu’au fond de sa gorge, car il était sensiblement enroué en prononçant ces paroles ; sa main tremblait aussi, quand il trinqua avec son neveu. Mais ayant porté vaillamment le verre à sa bouche, il le vida sans trembler, et fit claquer ses lèvres.

« Cher oncle dit le jeune homme, cherchant à déguiser son émotion, tandis que des larmes brillaient dans ses yeux, cher oncle, je bois à l’honneur que vous m’avez fait, et… et… et cætera ; je porte à monsieur Solomon Gills les trois toasts d’usage trois fois répétés avec un autre encore par-dessus le marché. Vivat ! et j’espère, mon oncle, que vous me ferez raison, quand nous boirons ensemble la dernière bouteille ? N’est-ce pas ? »

Ils trinquèrent de nouveau et Walter, qui n’avait pas encore touché à son vin, en avala une gorgée et leva ensuite son verre à la hauteur de son œil en se donnant l’air d’un profond connaisseur.

Son oncle le regarda quelque temps en silence ; puis leurs yeux étant venus à se rencontrer, il poursuivit tout haut, comme s’il n’avait pas cessé de parler, le sujet qui l’avait occupé mentalement.

« Vous le voyez, Walter, mon commerce est une habitude pour moi, dit-il. J’y suis tellement fait, qu’il me manquerait