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aux différentes pièces de leur structure ; sur les assiettes c’était la frégate le Tartare, voiles déployées. La cheminée était ornée de coquilles exotiques, de plantes marines, de mousse, et enfin la petite salle à manger, toute boisée, était éclairée d’en haut par un châssis vitré, comme la cabine d’un bâtiment.

C’était dans ce milieu que vivait l’opticien, à peu près comme un capitaine de navire, seul avec son neveu Walter. Walter était un jeune garçon d’environ quatorze ans ayant assez la tournure d’un aspirant de marine comme pour couronner le tableau, mais là s’arrêtait l’illusion. Solomon Gills, autrement nommé le vieux Sol, ne ressemblait guère à un marin. Sans parler de sa perruque galloise, aussi perruque, aussi galloise qu’il y en eut jamais, et qui était bien loin de lui donner l’air d’un corsaire ; c’était un homme réfléchi, ne parlant et n’agissant que par compas et par mesure. Ses yeux rouges ressemblaient à deux petits soleils perçant un brouillard, et il avait toujours l’air d’un homme qui vient de se réveiller ; on eût dit qu’il était resté trois ou quatre jours de suite les yeux appliqués sur chacun de ses instruments d’optique et que, rendu à la vie ordinaire, tout lui paraissait trouble. Le seul changement qu’on eût jamais noté dans sa personne extérieure, c’était qu’il avait quitté un habillement complet couleur café, à larges pans et orné de boutons éblouissants, pour un autre habillement du même genre, toujours couleur café, excepté la culotte qui était, au moment où nous parlons, d’un nankin pâle. Il portait scrupuleusement un jabot, relevait sur son front une paire de lunettes premier numéro, et avait dans son gousset un formidable chronomètre. Plutôt que de douter de l’exactitude de ce précieux objet, il aurait mieux aimé croire à une conspiration tramée contre lui par toutes les montres et toutes les horloges de la ville ; que dis-je ? par le soleil lui-même. Tel on le voyait alors, tel on l’avait toujours vu dans sa boutique ou dans sa salle à manger, derrière la même enseigne, depuis bien des années. Chaque soir il montait régulièrement dans une espèce de mansarde isolée et ouverte à tous les vents, si bien que les gens qui habitaient un étage inférieur trouvaient le temps simplement au variable, quand il était pour lui à la tempête.

Au moment où le lecteur fait connaissance avec Solomon Gills, il est cinq heures et demie. C’est une après-dînée d’automne. Solomon regarde l’heure à son infaillible chronomètre.