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gardait pas. Je ne suis pas sûre qu’il l’eût reconnue pour sa fille, s’il l’avait rencontrée dans les rues, ni qu’il la reconnût même demain s’il la rencontrait. Pour moi, madame Richard, dit Salpêtre en riant jaune, je ne suis pas bien sûre qu’il sache même que j’existe !

— Pauvre petite ! dit Richard, en parlant non pas de Suzanne, mais de la petite Florence.

— Oh ! il y a pas loin d’ici un vieil ogre… J’en sais quelle chose… l’honorable compagnie ici présente est exceptée bien entendu, dit Suzanne Nipper. Je vous souhaite le bonsoir, madame Richard. Maintenant, mademoiselle Florence, venez avec moi ; allons, ne lambinons pas, petite vilaine ; vous ne craignez donc pas d’être punie ? »

En dépit de cet avertissement et des efforts de Suzanne, qui la tirait de manière à lui démancher l’épaule droite, la petite Florence s’échappa et vint embrasser tendrement sa nouvelle amie.

« Adieu, dit l’enfant. Merci, merci !… je reviendrai vous voir bientôt et vous viendrez aussi me voir ; Suzanne le permettra, n’est-ce pas, ma petite Suzanne ? »

Mlle Salpêtre appartenait à cette nouvelle école, qui croit que la jeunesse est comme l’argent, et qu’elle a besoin comme lui d’être agitée, remuée, secouée, pour toujours reluire ; mais, au fond, c’était une bonne nature ; car, lorsqu’on l’eut prise par les sentiments, en la câlinant, elle se croisa les bras, secoua la tête et adoucit l’expression un peu dure de ses grands yeux noirs.

« Ce n’est pas bien, mademoiselle Florence, de me demander cela, vous savez que je ne sais rien vous refuser ; mais nous déciderons Mme Richard et moi si cela se peut. Si cela faisait plaisir à Mme Richard, voyez-vous, je ne dis pas que je n’aimerais pas à faire un tour en Chine, mais avec tout cela, je ne peux pas quitter les docks de Londres. »

Richard fit un signe d’assentiment.

« La maison n’est déjà pas assez réjouissante, dit Suzanne, pour qu’on cherche à s’y isoler encore davantage. Si vos Tox et vos Chick m’arrachent deux molaires, ce n’est pas une raison pour que je leur sacrifie tout mon râtelier. »

Richard fit un nouveau signe d’assentiment. Elle trouvait la réflexion de Suzanne fort sage.

« Ainsi, reprit Suzanne, arrangeons-nous pour vivre en bonne intelligence tant que vous serez ici, si nous pouvons le