Page:Dickens - Dombey et fils, 1881, tome 1.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pire ? » Et en parlant ainsi Mme Skewton froissait un mouchoir qui sentait le musc à en donner la migraine.

Le contraste qui se faisait remarquer entre les expressions pleines de jeune enthousiasme de Mme Skewton et ses manières on ne peut plus surannées, était encore moins frappant que le contraste de son âge avec sa mise ; car elle avait soixante ans, et sa toilette aurait été presque ridicule pour une jeune femme de vingt-sept. Elle avait pris dans sa chaise roulante une pose invariable. Cinquante ans auparavant un artiste, fort à la mode dans ce temps-là, l’avait dessinée couchée de la même manière dans un carrosse. Au-dessous du portrait, l’artiste avait écrit le nom de Cléopâtre, car les critiques d’alors avaient trouvé une ressemblance parfaite entre la pose de Mme Skewton dans son carrosse et celle de la princesse égyptienne penchée sur le bord de sa galère. Mme Skewton était une beauté alors, et plus d’un bon drille avait vidé des verres par douzaine en son honneur. La beauté et le carrosse avaient disparu, mais la pose était restée, et c’était pour la conserver dans toute sa vérité, que Mme Skewton ne pouvait se séparer de sa chaise ni de son page ; car elle n’avait aucune autre raison pour se faire ainsi traîner, n’ayant nullement perdu l’usage de ses jambes.

« M. Dombey est un ami de la nature, j’espère, » dit Mme Skewton en arrangeant sa broche. Car, soit dit en passant, Mme Skewton vivait beaucoup sur la réputation qu’elle s’était faite par la possession de quelques diamants et par ses relations de famille.

« Mon ami Dombey, madame, répondit le major, peut être au fond un ami de la nature, mais un homme qui règne en souverain dans la plus grande cité de l’univers…

— Personne n’ignore, interrompit Mme Skewton, l’immense influence de M. Dombey. »

Comme M. Dombey s’inclinait pour la remercier du compliment, la plus jeune dame tourna ses regards de son côté, leurs yeux se rencontrèrent, et M. Dombey s’adressant à elle lui dit :

« Vous résidez ici, madame ?

— Mon Dieu, non ; nous avons résidé en beaucoup d’endroits : à Harrowgate, à Scarborough et dans le Devonshire. Nous nous sommes arrêtées tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre. Maman aime le changement.

— Et Edith ne l’aime pas, cela va sans dire, fit Mme Skewton avec un sourire affreusement laid.