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de salles donnant sur une cour sablée. Dans cette cour, se trouvaient deux arbres décharnés, dont le tronc et les branches étaient noirs, et dont les feuilles desséchées par la fumée râlaient au souffle du vent. Le soleil d’été ne se montrait dans la rue qu’à l’heure du déjeuner ; il venait avec les porteurs d’eau, les marchands de vieux habits, les revendeurs de géraniums, les raccommodeurs de parapluies et l’horloger ambulant qui fait entendre un carillon tout le long du chemin. Le soleil disparaissait bientôt pour ne plus revenir de la journée, et laissait la place aux chanteurs des rues, aux parades de polichinelle, aux orgues de Barbarie et aux souris blanches ou de temps à autre, pour varier les plaisirs, à un porc-épic. Puis, c’était le tour des chefs de cuisine à se tenir sur le pas de la porte à la brune, lorsque leurs maîtres dînaient en ville ; enfin survenait l’allumeur de réverbères, qui, chaque soir, allumait le gaz, sans jamais pouvoir éclairer la rue.

La maison de M. Dombey apparaissait aussi triste à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les funérailles terminées, M. Dombey fit couvrir tous les meubles (sans doute dans le but de les conserver pour son fils qu’il associait déjà dans sa pensée à tous ses plans) et fit dégarnir toutes les chambres, à l’exception de celles qu’il se réservait au rez-de-chaussée. Par suite de cet arrangement, les tables et les chaises, entassées au milieu des pièces, avaient pris des formes mystérieuses sous les grands linceuls qui les recouvraient. Les cordons de sonnettes, les stores, les glaces enveloppés de journaux quotidiens ou hebdomadaires présentaient par fragments des récits de morts subites et d’assassinats effrayants. Les lustres et les candélabres, dans leurs housses et leur toile écrue, faisaient l’effet de larmes monstres qui tombaient du plafond en deuil. L’air, qui pénétrait par les cheminées, était froid, humide comme l’air des voûtes et des caves. Le portrait de la défunte prenait une expression sinistre sous les bandelettes lugubres qui enveloppaient le cadre. Le moindre vent qui soufflait faisait tournoyer dans un coin de la cour des écuries voisines, quelques fétus de la paille jetée dans la maison, pendant la maladie de Mme Dombey, et dont quelques débris pourris se voyaient encore çà et là dans le voisinage. Ces brins de paille, comme attirés par une force invisible, allaient se fixer sur le seuil d’une sale maison à louer juste en face de la sienne, d’où ils semblaient rappeler à la maison Dombey, dans leur triste langage, le douloureux événement.