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une manière toute spontanée de faire éclater son importance : ses grosses joues retombaient par-dessus son collet ; il marchait les jambes majestueusement écartées et, à voir le balancement de sa tête sur ses épaules, on eût dit qu’il s’adressait des remontrances in petto sur la nature par trop séduisante de son individu. À peine avaient-ils fait quelques pas, que le major rencontra quelqu’un de sa connaissance, plus loin encore une autre personne, mais il se contenta de saluer de la main et continua sa promenade avec M. Dombey, se faisant son cicerone dans toutes les localités qu’ils traversaient, et lui racontant, pour égayer la promenade, toutes les petites aventures scandaleuses que lui rappelaient les lieux.

Le major et M. Dombey marchaient donc bras dessus bras dessous, fort satisfaits l’un de l’autre, lorsqu’ils virent s’avancer de leur côté une espèce de chaise roulante dans laquelle était assise une dame : couchée nonchalamment, elle dirigeait avec une sorte de gouvernail son véhicule, que poussait une force invisible. Cette dame n’était pas jeune, mais sa figure, éclatante de fraîcheur, avait un teint de rose, et sa mise et sa pose étaient celles d’une jeune fille. À côté de cette petite voiture marchait languissamment une toute jeune femme : elle soutenait d’un air dédaigneux et fatigué une petite ombrelle de gaze légère, dont le poids semblait trop lourd pour sa main ; et l’on eût dit que trahie par ses forces, elle allait la laisser tomber. C’était pourtant une grande et belle personne à l’air impérieux et plein d’arrogance. Elle marchait la tête haute et les paupières baissées ; pour elle sans doute, sauf son miroir peut-être, rien ne valait la peine qu’elle levât les yeux ; en tout cas, la terre et le ciel ne paraissaient pas mériter son attention.

« Qui diable nous arrive là, monsieur ? s’écria le major en s’arrêtant devant la petite cavalcade qui s’approchait.

— Edith, ma chère, dit d’un ton dolent la dame de la voiture, c’est le major Bagstock ! »

À peine le major eut-il entendu le son de cette voix, qu’il quitta le bras de M. Dombey et, s’avançant vers celle des deux dames qui était étendue dans la voiture, il lui prit la main et la porta à ses lèvres ; puis avec la même galanterie, il croisa ses deux gants sur son cœur et fit un profond salut à l’autre dame. Lorsque la chaise se fut arrêtée, le moteur de la machine se révéla. C’était tout simplement un page, un jeune innocent, qui la poussait devant lui. Les efforts qu’il avait faits