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ter les conseils d’un homme d’un jugement si sûr et d’un sens aussi parfait. Il fit donc un effort pour écouter les histoires du major tandis qu’ils dépassaient au trot la barrière, et le major, de son côté, trouvant cette allure et le macadam beaucoup mieux adaptés à ses facultés conversatives que le mode de voyager qu’ils venaient d’abandonner, se mit en devoir d’amuser M. Dombey.

Toute la journée, le major fut donc en verve. Quelquefois seulement, il s’arrêtait pour donner un moment satisfaction à ses symptômes pléthoriques, ou bien pour faire une petite collation, ou encore pour s’attaquer violemment à son nègre. Ce prince noir portait une paire de boucles d’oreilles et ses habits européens s’ajustaient sur son corps d’une façon si singulière, qu’ils paraissaient au moins aussi exotiques que l’individu qui leur servait de mannequin. Sans aucun égard pour le talent du tailleur, ils étaient longs à l’endroit où ils auraient dû être tenus courts ; courts à l’endroit où ils auraient dû être tenus longs ; étroits quand ils auraient dû être larges ; larges quand ils auraient dû être étroits ; et, lorsque le major venait à le menacer, il leur donnait une grâce toute nouvelle en se recoquillant au fond de son costume comme une noix ridée, ou comme un singe enrhumé. Pour en revenir au major, il ne cessa donc, toute la journée, de faire de l’esprit et de bavarder si bien que le soir, tandis qu’ils roulaient sur la route verte et ombragée qui touche à Leamington, la voix du major (tant il avait parlé, mangé, soufflé, ricané) semblait sortir du coffre de la voiture ou de quelque meule de foin des environs. Et cela ne fit que croître et embellir à l’hôtel Royal, où l’on avait commandé deux chambres et surtout à dîner. Il y fatigua tellement ses organes vocaux à force de manger et de boire, qu’au moment de se coucher, il n’avait plus de voix que pour tousser, et ne pouvait plus se faire comprendre de son nègre qu’en ouvrant la bouche comme une carpe pâmée.

Cependant, le lendemain matin, non-seulement, il se leva comme un ogre bien rafraîchi, mais il se conduisit au déjeuner comme un ogre qui a bonne envie de se rafraîchir encore. Ils dressèrent à ce repas le programme de leurs habitudes journalières. Le major aurait la responsabilité du boire et du manger, et chaque matin ils devaient déjeuner et dîner ensemble, assez tard dans la journée. Le premier jour de leur arrivée à Leamington, M. Dombey préféra rester chez lui ou se promener seul dans la campagne ; mais le lendemain matin il