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Uni avec lui, il aurait pu s’isoler du monde entier comme derrière une double porte d’or massif ! Cet enfant était donc cause que de telles gens pourraient venir insulter à toutes ses espérances déçues, et réclamer orgueilleusement une communauté de sentiments avec lui, Dombey, homme si élevé au-dessus d’eux ! N’était-ce pas faire invasion au cœur même de la place, où il prétendait régner en maître, et seul ?

Il ne trouvait dans la route ni plaisir ni distraction. Torturé par ces pensées, il emportait avec lui sa tristesse, au milieu des tableaux variés qui fuyaient devant lui, et, dans cette course rapide, qu’il faisait sans y songer, il ne voyait ni les sites pittoresques, ni les riches campagnes, mais toujours un pêle-mêle désolant de projets brisés et de pensées jalouses. La rapidité même du train semblait une raillerie cruelle de la course rapide de la vie que le jeune enfant avait passée sur la terre, entraîné par une puissance implacable vers le but fatal ! Cette force qui poussait le train sur sa voie de fer, coupant les sentiers, les routes, perçant au cœur tous les obstacles, et remorquant à sa suite des êtres de tout rang, de tout âge, était l’image de ce monstre triomphant : la mort !

Et le convoi fuyait de la ville, sifflant, grondant, mugissant, s’enfonçant sous les demeures des hommes et faisant trembler les rues, serpentant un instant dans la plaine, disparaissant aussitôt dans les profondeurs de la terre, rugissant au milieu d’épaisses ténèbres, puis s’élançant de ce gouffre pour courir à la lumière et poursuivre sa marche rapide sous les rayons brillants du jour ; oui, il fuyait toujours sifflant, grondant, mugissant à travers les champs, les bois, les moissons, les prairies, le sable, la terre, l’argile, le roc, rasant mille objets que le voyageur croit saisir et qui déjà sont bien loin de lui, et s’avançant entouré d’un horizon trompeur qui, malgré sa fuite rapide, marche lentement à ses côtés. Ne dirait-on pas la chasse inexorable de ce monstre au cœur de fer, la mort ?

Oui, à travers les vallées, sur les hauteurs, au milieu des bruyères, des vergers, franchissant les parcs, les jardins, les canaux, les rivières, devant les troupeaux qui paissent, les moulins qui tournent, la barque qui flotte, les morts qui reposent, les fabriques qui fument, près du torrent qui bouillonne, des hameaux qui se groupent, de la haute cathédrale qui s’isole dans les airs, près des froids marécages, où la brise et l’ouragan soufflent à leur gré, le convoi passe et fuit sif-