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quelques instants d’une toux poussive d’un caractère tout à fait alarmant. Quand il fut un peu remis, il reprit :

« Et maintenant, Dombey, puisque vous avez invité, pour vous servir de compagnon et de guide à Leamington, le vieux Joe, dont le seul mérite est d’être un homme solide et franc, commandez, choisissez la route qui vous plaira, Joe est tout à vous. Je ne sais, monsieur, continua le major en caressant son double menton d’un air un peu fat, ce que vous avez tous à rechercher, comme vous faites, le vieux Joe ; mais ce que je sais, monsieur, c’est que, s’il n’était pas un peu coriace et obstiné dans ses refus, vous l’auriez, en moins de rien, bientôt mis sur les dents avec toutes vos invitations et toutes vos instances. »

M. Dombey exprima en quelques mots combien il se sentait flatté de la préférence que le major lui donnait sur tant d’autres personnages distingués qui réclamaient en vain sa société. Mais le major l’arrêta tout court, en lui donnant à entendre qu’il ne faisait que suivre son inclination.

« Oui, s’écria-t-il, oui, monsieur, Joe s’est senti porté tout entier vers vous, et son cœur lui a dit : J. B., Dombey est l’homme qui vous convient comme ami. »

L’estomac du major se trouvait à ce moment bien rempli. Le jus du pâté succulent lui sortait par le coin de l’œil, et sa cravate lui serrait atrocement le cou, grâce à la bonne grillade de jambon et aux rognons sautés. L’heure approchait où le train qui devait les emmener de la ville allait partir pour Birmingham ; et le nègre arriva apportant à son maître son grand manteau de voyage.

Ce ne fut pas sans peine qu’il parvint à le lui mettre sur le dos : quand il le lui eut boutonné du haut en bas, la tête du major apparut avec de gros yeux et une grande bouche tout ouverte, plantée sur ce paquet de vêtements comme sur un tonneau. Le nègre lui présenta ensuite les uns après les autres, et en laissant un intervalle convenable pour les lui offrir, les différents objets qui devaient compléter sa toilette de voyage : ses gants de peau de daim, sa grosse canne et son chapeau ; ce dernier objet, le major se le posa d’un air tapageur sur le coin de l’oreille, au risque d’ombrager l’éclat de son remarquable visage. Le nègre avait auparavant chargé, à la porte, la voiture de M. Dombey, dans tous les coins et recoins possibles ou impossibles, d’une quantité incroyable de malles et de portemanteaux, pleins à