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taire d’où l’on entendait parfois des coups de canon en mer, il regardait les étoiles, écoutait souffler le vent et veillait plus longtemps qu’il ne l’eût fait à bord du navire, s’il avait été de quart. Quant à la dernière bouteille de vieux madère, qui avait eu ses jours de traversée et avait connu autrefois les dangers de la mer, elle continua à rester paisiblement sous sa couche de poussière et de toiles d’araignées, sans être dérangée.



CHAPITRE XX.

M. Dombey part en voyage.


« Monsieur Dombey, monsieur, dit le major Bagstock, J. B. n’est pas en général un homme sentimental, car il est un peu solide, Joseph. Mais Joe n’est pas de fer, monsieur, et quand on éveille sa sensibilité… Mais Dieu me damne ! monsieur Dombey, s’écria tout à coup le major d’un ton féroce, c’est de la faiblesse cela et je n’y céderai pas. »

C’est en recevant M. Dombey, sur le palier de son escalier dans la place de la Princesse, que le major Bagstock se livrait à ce flux de paroles. M. Dombey venait déjeuner avec le major, avant de se mettre en route pour leur excursion, et le malheureux nègre avait déjà eu à supporter toutes sortes de misères au sujet des rôties pour le thé qui, avec la question générale des œufs à la coque, lui rendaient la vie un fardeau insupportable.

« Ce n’est pas le fait d’un vieux soldat du sang des Bagstock, dit le major retombant dans un accès de sensibilité, de se laisser dominer par ses propres émotions ; mais, Dieu me damne ! monsieur, s’écria le major en reprenant sa voix féroce, je partage votre peine ! »

Le visage empourpré du major prit une teinte plus foncée, et ses yeux de homard sortirent plus hardiment de leurs orbites, pendant qu’il secouait la main de M. Dombey : il se livrait à cette démonstration amicale d’un air aussi tragique que si c’eût été le prélude d’une lutte à la boxe avec M. Dombey, pour un pari de mille livres sterling et pour l’honneur de l’Angleterre. Puis imprimant à sa tête un mouvement de rotation et