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que dire pour vous remercier de tant de bonté, vraiment. Mais quand je pourrais parler pendant une heure, que pourrais-je dire, sinon que je vous reconnais bien là ! »

Suzanne Nipper se mit à mordre un autre bout de la bride de son chapeau et secoua la tête en regardant toujours le plafond comme pour témoigner qu’elle donnait son approbation à cette déclaration.

« Oh ! mais, Walter, dit Florence, j’ai aussi quelque chose à vous dire avant votre départ. Et d’abord, je veux que vous m’appeliez Florence, s’il vous plaît, et que vous ne me traitiez pas comme une étrangère.

— Comme une étrangère ! répondit Walter. Oh ! non, je ne le pourrais pas. Je sais bien du moins qu’au fond du cœur, je ne vous traite pas comme une étrangère.

— Oh ! cela ne suffit pas, et ce n’est pas là ce que je veux dire. Car voyez-vous, Walter, et Florence se mit à fondre en larmes, il vous aimait beaucoup, lui, et avant de mourir, il disait et il répétait : Souvenez-vous de Walter ! Aussi maintenant qu’il n’est plus, que je n’ai plus de frère au monde, si vous voulez être le mien, Walter, je serai votre sœur toute ma vie ; et dans quelque endroit que nous soyons l’un et l’autre, je penserai toujours à vous comme à mon frère. Voilà ce que je voulais vous dire, cher Walter, mais je ne vous le dis pas comme je l’aurais voulu : mon cœur est trop plein. »

Et comme son cœur débordait, elle lui tendit à la fois les deux mains dans sa naïve innocence. Walter, en les prenant dans les siennes, se baissa et effleura de ses lèvres ce visage inondé de larmes. La jeune fille ne se détourna pas, et sans rougir, elle leva vers lui ses yeux pleins de confiance et de foi. À ce moment Walter sentit s’effacer de son âme toute ombre d’incertitude ou de trouble. Il lui sembla qu’il répondait à son appel innocent auprès du lit de mort de l’enfant. Et tout rempli encore de la gravité du triste événement, il se jura à lui-même de chérir et de respecter, dans son exil, l’image de la jeune fille, comme si elle eût été sa sœur ; de conserver pure dans son cœur cette fidélité qu’elle lui promettait si innocemment, et de se regarder comme indigne de son affection, s’il pouvait avoir des pensées d’autre nature qu’elle-même, au moment où elle venait de lui donner sa foi.

Suzanne Nipper qui en était arrivée à manger à la fois les deux brides de son chapeau, et qui, pendant ce dialogue, semblait avoir pris, bien des fois, le plafond à témoin de son émo-