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puyer contre le montant de la porte, reposant sa perruque fatiguée le plus près possible des boucles de souliers de l’ange gardien de sa boutique et de son commerce. Mais il n’y a pas de fétiche, avec sa bouche fendue jusqu’aux deux oreilles, ni d’idole farouche, au regard assassin, surmontée d’un panache de plumes de perroquet, qui ait jamais montré plus d’indifférence aux invocations de ses sauvages adorateurs que le petit aspirant n’en montrait à ces témoignages d’attachement.

Le cœur de Walter était bien gros quand, regardant tout autour de sa vieille petite chambre, qui s’élevait au milieu des entablements et des tuyaux de cheminées, il se disait qu’une nuit encore et il lui faudrait dire adieu, peut-être pour toujours, à cette vieille connaissance. Dépouillée de son petit fonds de livres et de tableaux, elle semblait lui reprocher sévèrement sa désertion et l’on eût dit qu’elle pressentait déjà qu’elle allait lui devenir étrangère. « Encore quelques heures, pensait Walter, et cette vieille chambre ne m’appartiendra pas plus que les rêves que j’y ai faits, lorsque j’étais écolier. Ces rêves me reviendront peut-être encore dans mon sommeil, comme je pourrai revoir encore ce lieu, mais les rêves au moins n’auront pas d’autre maître que moi, tandis que la chambre pourra en avoir une vingtaine, et chacun d’eux pourra la changer, la négliger, en user et en abuser à son gré.

Mais il ne fallait pas laisser son oncle seul dans la petite salle à manger où il était assis sans ami (car le capitaine Cuttle, qui, dans ce qu’il était, n’agissait pas toujours à l’étourdie, était resté chez lui bien contre son gré, tout exprès pour laisser l’oncle et le neveu causer à cœur ouvert entre quatre yeux) ; aussi Walter, à peine rentré de son dernier jour de travail, descendit-il promptement pour lui tenir compagnie.

« Mon oncle, dit-il gaiement, en posant sa main sur l’épaule du vieillard, que faudra-t-il que je vous envoie de la Barbade ?

— L’espérance, mon cher Walter. Oui, l’espérance de nous revoir un jour avant de descendre dans la tombe. Envoyez-m’en autant que vous pourrez.

— Certainement mon oncle, je vous en enverrai. J’en ai plus qu’il ne m’en faut et je n’en serai pas chiche. Quant à des tortues vivantes, des citrons pour le punch du capitaine Cuttle, et des conserves pour vous le dimanche, et le reste, je vous en expédierai des cargaisons entières… quand je serai assez riche. »