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Laissez faire, il se le rappellera, dans cette même chambre, t bien des années plus tard, ce cri-là. Avant qu’il eût rompu le silence, le son en était déjà dissipé. Peut-être espère-t-il le chasser aussi aisément de son souvenir. Mais non, il est toujours là ; laissez faire, il se le rappellera dans cette même chambre bien des années plus tard !

Il la prit par le bras. Sa main était froide, molle, indifférente. Elle n’avait pas d’étreinte.

« Vous êtes fatiguée, sans doute, dit-il en prenant une lumière pour la conduire vers la porte ; vous avez besoin de repos ; nous avons tous besoin de repos. Allez, Florence. Vous aurez sans doute fait quelque mauvais rêve. »

Le rêve qu’elle avait fait, la pauvre enfant, s’était évanoui maintenant, hélas ! et elle sentait que c’était pour toujours.

« Je vais rester là pour vous éclairer, pendant que vous allez monter. Tout l’étage supérieur est à vous, dit-il lentement. C’est vous qui en êtes la maîtresse maintenant. Bonsoir. »

Cachant encore son visage dans ses mains, elle répondit en sanglotant : « Bonsoir, cher papa, » et elle monta sans rien dire. Une fois elle regarda en arrière comme si elle eût eu envie de retourner vers lui, mais elle n’osa. Ce fut une pensée d’un moment, trop vaine pour l’encourager ; et son père resta là, la lumière à la main, roide, insensible, immobile, jusqu’au moment où la robe flottante de sa gracieuse enfant se perdit dans l’obscurité.

Oui, oui, laissez faire, il se le rappellera dans cette même chambre bien des années plus tard. La pluie qui tombe sur le toit ; le vent qui gémit au dehors, lui en apportent peut-être le présage dans leurs sons mélancoliques. Laissez faire, il se le rappellera dans cette même chambre bien des années plus tard !

La dernière fois qu’il l’avait regardée du même endroit, tournant le coin du même escalier, elle portait son frère dans ses bras. Ce souvenir, au lieu de l’attendrir pour elle, ne fit que lui bronzer le cœur ; et, rentrant dans sa chambre, il poussa la porte, s’assit dans son fauteuil et se mit à pleurer son fils perdu.

Diogène, lui, était tout éveillé, à son poste, à attendre sa petite maîtresse.

« Oh ! mon Didi, mon cher Didi ! aime-moi pour l’amour de lui. »